Tous les ingrédients sont réunis
Se dirige-t-on vers un ralentissement économique mondial?

De nombreux signes laissent présager un ralentissement économique mondial. Mais les apparences sont pour l'instant trompeuses, car depuis la fin de la pandémie, la consommation des ménages a explosé et les entreprises embauchent à tour de bras... Jusqu'à quand?
Publié: 20.07.2023 à 06:09 heures
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Dernière mise à jour: 20.07.2023 à 12:45 heures
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Depuis la fin de la pandémie, une frénésie de consommation a gagné les ménages.
Photo: Pius Koller
Peter Rohner («Handelszeitung»)

Tous les ingrédients d'un ralentissement économique mondial étaient réunis: des taux d'intérêt stratosphériques, une inflation record, des revenus nets en baisse, une économique allemande au bord de la récession. De quoi glacer d'effroi de la plupart des marchés financiers.

Et pourtant? Et pourtant, c'est tout le contraire qui s'est produit. Le cours des actions a augmenté et la consommation des ménages est repartie sur les chapeaux de roue depuis la fin de la pandémie. Comment expliquer cette incohérence conjoncturelle?

Faible demande de biens

Contrairement aux apparences, certains pans de l'économie se dirigent droit vers un ralentissement. Les indicateurs avancés – qui reflètent les impressions des consommateurs ou des professionnels concernant les tendances économiques – montrent déjà des signes de ralentissement en Europe, y compris en Suisse.

Dans l'industrie, la production et les commandes avaient parfois atteint des niveaux attendus habituellement lors d'une récession. La demande de biens avait grimpé en flèche pendant la pandémie. Désormais, il faut s'attendre à un contrecoup.

La forte hausse des taux d'intérêt a également plombé le dynamisme des marchés immobiliers, parfois durement, comme en Allemagne ou en Suède, ou parfois moins, comme en Suisse.

Stabilité de la consommation et robustesse du marché du travail

Dans un même temps, le marché du travail a retrouvé des couleurs. Et la consommation des ménages ne semble pas être freinée. Ces paradoxes rendent la situation économique actuelle à la fois unique et mystérieuse: Comment expliquer que, face à ces perspectives moroses, les entreprises ne suppriment pas des postes? Et alors que le coût de la vie augmente, pourquoi les consommateurs ne se serrent-t-ils pas davantage la ceinture?

Ces deux phénomènes – la stabilité de la consommation et la robustesse du marché du travail – sont liés. Ils trouvent, en partie, leur origine dans la pandémie de Covid-19.

Revenons d'abord sur la stabilité de la consommation: c'est avec les économies réalisées durant cette période, notamment grâce aux aides de l'Etat, que les consommateurs peuvent aujourd'hui dépenser sans (trop) compter.

Ces derniers ont également envie de rattraper le temps perdu pendant la pandémie – en voyageant ou en se rendant à des manifestations, par exemple. Et au besoin, ils n'hésitent pas à le faire à crédit, comme aux Etats-Unis, ou le nombre de dettes atteint des niveaux records.

Cette frénésie de la consommation à crédit n'est possible que parce que de nombreux postes sont vacants sur le marché du travail. En clair, les personnes qui ont à la fois bénéficié d'augmentations de salaire et qui ne s'inquiètent pas de se retrouver sans emploi craignent moins de s'endetter.

Retenir le personnel qualifié

Passons ensuite à la robustesse du marché du travail – plus concrètement le fait que les taux de chômages soient si bas et que les entreprises se plaignent d'un manque de personnel – qui est aussi une conséquence de la pandémie. Durant les années Covid, de nombreuses personnes ont pris une retraite anticipée ou ont décidé de réduire leur temps de travail. Autre facteur qui joue un rôle décisif: les départs à la retraite des baby-boomers qui laissent derrière eux un grand vide sur le marché du travail.

Maintenant que la conjoncture s'essouffle, les entreprises hésitent à licencier, car elles savent qu'il est difficile de retrouver du personnel qualifié lorsque la situation s'améliore. Les économistes parlent déjà d'une thésaurisation de la main-d'œuvre – une stratégie qui vise justement à retenir la main-d'œuvre lorsque l'économie ralentit.

Bientôt une vague de licenciements?

Cela peut certes fonctionner pendant un temps, mais pas éternellement. En fin de compte, les entreprises emploient plus de personnel que ce qui est économiquement raisonnable. Elles se retrouvent alors dans une impasse: une masse salariale trop importante pèse sur leur rentabilité.

Cela signifie que les marges bénéficiaires des entreprises seront désormais sous pression, après une période faste. Même les analystes américains, d'habitude si prompts à sortir les trompettes pour célébrer l'excellente santé des entreprises, s'attendent en moyenne à une baisse des bénéfices de 9% par rapport au même trimestre 2022.

C'est une mauvaise nouvelle pour les bourses et l'économie. Mais surtout pour les consommateurs: si les entreprises doivent faire des économies sur leur personnel, des licenciements seraient alors inévitables dans tous les secteurs.

Risque de récession

Il faut prendre en compte un autre facteur pour comprendre la situation économique actuelle: l'effet de la hausse massive des taux d'intérêt ne se fera pleinement sentir qu'avec un certain retard. Aux Etats-Unis, toute augmentation aussi importante des taux d'intérêt a conduit, par le passé, à une récession. En Suisse, il faut s'attendre à un schéma similaire, même si les augmentations des taux d'intérêts sont un peu moins importantes.

Si les États-Unis devaient effectivement entrer en récession, la Suisse en ressentirait les effets principalement par le biais du commerce extérieur. L'avenir dira si la consommation au sein du pays restera suffisamment stable pour préserver l'ensemble de l'économie d'une récession.

En d'autres termes, il semblerait bien que nous nous dirigions vers un ralentissement économique mondial.

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