À quoi ça se joue? Un penalty raté, le pied de l’Italien Jorginho qui flanche (et plutôt deux fois qu’une). Un brin de réussite. Et voilà, la Nati a écarté les champions d’Europe en titre pour valider sa carte d’embarquement, destination le Qatar. Coupe du monde 2022, nous y sommes!
En ce mardi matin, tout le monde en Suisse est persuadé que Murat Yakin est l’homme de la situation. Aujourd'hui, comme demain. Le Bâlois va bientôt prolonger son contrat pour plusieurs années.
Souviens-toi... l'été dernier
Mais il ne faut pas oublier que cet été, le Bâlois n’était qu’un choix par défaut pour une Association suisse de football qui avait essuyé plus de refus qu’un ado boutonneux à une boum. Personne ne voulait de l'ASF, une dulcinée plaquée par Vladimir Petkovic.
«Je ne crois pas à la chance dans le sport, mais nous avons su provoquer cette réussite», soulignait un Murat Yakin forcément ému lundi soir. Les mornes crépuscules d’automne ont remplacé les belles nuits d’été, mais la Suisse se prend encore à vibrer pour son équipe de football, quelques semaines seulement après ce fol Euro. Quel pied!
Un entraîneur de seconde zone
Une fois la nuit d’ivresse cuvée, l’explosion de joie légitime passée, quel regard porter sur cette qualification? Exercice compliqué dans ce monde du sport où la culture de l’instant est érigée en dogme. Héros un soir, zéro le (sur)lendemain. Ce n’est pas la centaine d’entraîneurs au chômage qui nous contredira.
Murat Yakin ne pointait pas auprès de son conseiller ORP au moment d’être nommé sélectionneur national début août. Pire, il entraînait une équipe de seconde zone, semi-amateur: le FC Schaffhouse. Un club dont le stade porte le nom d’une chaîne de meubles bon marché.
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«Comment avez-vous réussi à tenir tête à l’Italie alors que vous entraîniez en deuxième division suisse il y a encore trois mois?» La question a été posée par la «Gazzetta dello Sport» à Rome, vendredi soir après le match nul obtenu par la Suisse (1-1). Un résultat qui s’est avéré décisif, comme si le journaliste italien avait déjà pressenti la fin de l’histoire.
Un peu gêné, Murat Yakin a d’abord remercié le plumitif transalpin, dont la question était à mi-chemin entre le compliment et la pique. «Ce qui compte, ce n’est pas la ligue, mais la personne et ses idées.» Force est de constater que l’entraîneur de 47 ans est parvenu à convaincre tous les indécis en quelques semaines.
Poursuivi par le mauvais oeil
En août, «Muri» a d’abord fait vœu d’allégeance à l’héritage de Vladimir Petkovic au siège de l’ASF à Muri. Un mois plus tard, le beau gosse à la classe nonchalante a marqué sa prise de pouvoir dans le pompeux siège du Parlement de «sa» ville de Bâle, annonçant au passage une révolution pour la défense suisse. Il a ensuite survécu à la polémique Granit l’antivaXhaka, aux champions d'Europe, à l’avalanche de blessures et au match nul en Irlande du Nord. Même l’improbable résurrection du vétéran Fabian Frei – que personne n’avait vu venir – a fonctionné. Décidément.
L'interview de son assistant
J’arrive au bout de mon commentaire, et je n’ai pas vraiment avancé sur le fond de la question. Pourquoi Murat Yakin a réussi ce pari fou? Celui de qualifier une Suisse orpheline de Vladimir Petkovic, dans le groupe des tout frais champions d’Europe? «Je ne suis qu’une pièce du puzzle. Sans le staff et les joueurs, cela n’aurait pas fonctionné», a esquivé le héros du moment en conférence de presse à Lucerne.
Entre les lignes, le sélectionneur a pourtant glissé la clé de sa réussite. «Dès le premier jour, l’équipe a été fantastique. Nous avons trouvé une forme d’harmonie, su nous rapprocher les uns des autres, faire en sorte que cela réussisse ensemble.»
Vivement le Qatar, enfin presque
La force de Murat Yakin réside dans ce charisme, dans cette capacité à fédérer autour de lui. Avec son frère Hakan, l’ancien défenseur a été un des piliers de l’équipe de Suisse au début des années 2000. Souvent critiqué pour son manque d’éthique de travail, parfois pour son manque d’appartenance, il s’était imposé comme l’une des figures d'une Nati qui reflétait enfin une société suisse plus moderne et le multiculturalisme qui fait notre force.
Qui mieux que lui connaît ce que peuvent vivre Shaqiri, Xhaka et autre Seferovic? Là où Ottmar Hitzfeld était une star du passé, où Vladimir Petkovic était un stratège aussi talentueux que froid, Murat Yakin est un improbable alliage de ces deux prédécesseurs.
Merci «Muri» pour cet automne incroyable, de Bâle à Rome en passant pour Belfast. Vivement la suite! Même s’il faudra rapidement qu’on discute de cette Coupe du monde 2022 au Qatar. Un Mondial corrompu jusqu'à l'os et organisé en plein hiver dans des stades climatisés, construits au prix de milliers de vies innocentes.