Je retiens une chose de ce double rendez-vous international: l'équipe de Suisse n'est toujours pas guérie du Qatar. Ses débuts dans le groupe le plus faible de ces qualifications nous l'avaient presque fait oublier, mais la gifle de Lusail face au Portugal a laissé des traces. Cette semaine, Granit Xhaka a choisi de nous le rappeler. Tôt ou tard, ça aura des conséquences.
Il existe entre Murat Yakin et le capitaine une tension centrale et même originelle sur la manière dont cette équipe doit être organisée, jouer, fonctionner. Là où l'osmose était totale entre Vladimir Petkovic et son homme de confiance, on sent bien que le sélectionneur actuel, quoi qu'il en dise, se passerait bien du «disrupteur» qu'est l'ancien joueur d'Arsenal. Beaucoup d'entraîneurs n'auraient pas hésité une seconde à sanctionner un joueur mettant en cause, même indirectement, leurs méthodes. Andorre à domicile lui en donnait l'occasion idéale, il ne l'a pas fait, et c'est Xhaka qui a repris la main.
Un goût de malaise
A Sion, après une première mi-temps poussive, marquée par le triste chiffre de zéro tir cadré et les sifflets d'une partie du public, c'est bien lui qui a fait la passe décisive de l'ouverture du score puis marqué le 2-0 dans une soirée qui aurait pu très mal tourner. Finalement, son doigt sur la bouche ainsi que ses déclarations d'après Kosovo – Suisse donnent un goût de malaise à ce qui, en temps normal, ne serait qu'un bilan mathématique (deux matches, quatre points) pas si inquiétant que ça.
Le prochain match, à Tel Aviv, est un tournant. L'équipe de Suisse est à une défaite de la crise. Si son groupe de qualifications n'était pas si facile, elle aurait peut-être déjà éclaté. Murat Yakin et le directeur des équipes nationales Pierluigi Tami ont tous deux déploré les propos du capitaine. Lui a répondu tant sur le terrain qu'en dehors où ses paroles aux interviews puis sa communication sur les réseaux sociaux autorisent, à dessein, toutes les interprétations.
Le problème n'est pas réglé, il est reporté.
Je ne sais pas lequel de Yakin ou de Xhaka sera le premier à quitter l'équipe nationale. Sauf blessure, Granit Xhaka a au minimum encore trois ans de football international dans les jambes, de quoi viser les 150 sélections. Il est, avec Xherdan Shaqiri, le joueur le plus influent de l'histoire de la Nati. En 12 ans, seule la maladie et une grave blessure l'ont une fois éloigné plus de six mois du maillot rouge à croix blanche. Malgré ce bilan, beaucoup estiment que son attitude hors du terrain, les libertés qu'il a souvent prises, font de lui un problème.
L'ASF devra choisir son camp
Murat Yakin est un sélectionneur qui a jusqu'à aujourd'hui atteint tous les objectifs fixés par sa fédération. Il est très populaire, notamment en Suisse alémanique. Tout le monde à l'ASF loue sa façon d'incarner son rôle entre les rassemblements ainsi que l'impulsion donnée pour rapprocher l'équipe de Suisse de son public, en opposition totale avec le style Vladimir Petkovic. Sur le terrain, la flexibilité érigée en dogme a des limites: ça a fini par se payer très cher en décembre dernier, là où en juin 2021 c'est aussi la fidélité à des idées claires qui avait permis de renverser la France.
Grâce ou à cause des résultats obtenus depuis dix ans, l'équipe de Suisse génère de grandes attentes. Les huitièmes de finale ne suffisent plus. Pour espérer franchir encore un palier, faut-il mettre des joueurs comme Xhaka, mais aussi Shaqiri ou Rodriguez, dans les meilleures conditions pour leurs derniers grands tournois? Ou faut-il dès maintenant s'attaquer à l'influence du leader de cette génération, quitte à risquer le clash, pour permettre à la nouvelle de s'affirmer ? La solution du compromis si ancrée dans nos valeurs ne me semble pas coller à cette situation. Qu'elle le souhaite ou qu'elle finisse par y être forcée, l'ASF devra bientôt choisir son camp.