Nouvelle initiative anti-Bruxelles
«On ne veut pas sous-traiter la jurisprudence suisse à l'étranger»

L'investisseur et cofondateur de Boussole/Europe Urs Wietlisbach révèle le contenu de son initiative, qui devrait être prête d'ici à l'automne. Il détaille pourquoi il ne croit plus en l'Union européenne et pourquoi il est déçu par le PLR. Interview.
Publié: 21.04.2024 à 06:05 heures
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Dernière mise à jour: 23.04.2024 à 10:48 heures
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L'entrepreneur Urs Wietlisbach critique le nouveau projet d'accord-cadre avec l'Union européenne: «C'est du réchauffé!»
Photo: Philippe Rossier
Reza Rafi

En tant que cofondateur de la société zougoise de capital-investissement Partners Group, Urs Wietlisbach s'est hissé parmi l'élite financière suisse. Avec ses collègues Fredy Gantner et Marcel Erni, il a créé l'association Boussole/Europe, avec laquelle il se bat contre un rattachement institutionnel de la Suisse à Bruxelles.

Urs Wietlisbach, investiriez-vous encore dans l'Union européenne (UE) si elle était une entreprise?
Tout d'abord, nous investissons beaucoup dans les entreprises de l'espace européen. Mais votre question porte sur mon appréciation de l'institution européenne. J'ai des réserves à ce sujet. L'UE est malade à bien des égards. Je pense qu'il ne reste plus grand-chose à faire. Le poids réglementaire de l'UE est écrasant.

Vous êtes à ce point pessimiste?
Lorsqu'une entité est fortement centralisée, elle devient bureaucratique. Et il est extrêmement difficile de sortir de ce processus. C'est la très grande force de la Suisse, qui fonctionne justement de manière décentralisée et fédéraliste. Sur ce point, l'UE fonctionne complètement différemment. Cela vaut également pour les différents États membres, dont la plupart sont gérés de manière très centralisée et bureaucratique, surtout les grands États comme la France ou l'Allemagne, mais aussi les pays de l'Est comme la Hongrie et la Pologne. Je voyage souvent à l'étranger et beaucoup de gens me demandent avec envie pourquoi nous allons si bien en Suisse.

Et que répondez-vous?
Nous ne sommes pas plus intelligents que les Allemands. Nous ne travaillons pas beaucoup plus non plus. Nous n'avons pas plus de ressources naturelles. Ce qui nous différencie, c'est que nous avons un meilleur système. Je n'y vois que cette raison.

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«L'UE réglemente beaucoup, environ cinq fois plus que nous. Nous ferions bien de rester indépendants en matière de politique étrangère»
Urs Wietlisbach, cofondateur de Partners Group
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En même temps, l'UE offre un marché intérieur de 220 millions d'habitants autour de nous. En mars, le Conseil fédéral a adopté un mandat de négociation afin d'y intégrer la Suisse sur le plan institutionnel. En tant qu'entrepreneur, vous devriez avoir le plus grand intérêt à ce que nous soyons imbriqués dans cet espace économique.
Nous sommes déjà imbriqués. L'UE est un partenaire important pour nous, mais elle perd de plus en plus de terrain en comparaison internationale. D'autres relations commerciales, par exemple avec les États-Unis ou l'Asie, sont beaucoup plus dynamiques. C'est là que les affaires se jouent. Il ne faut pas non plus fermer les yeux sur la taille du marché. L'UE réglemente beaucoup, environ cinq fois plus que nous. Tout cela n'a pas de sens pour nous. Nous ferions bien de rester indépendants en matière de politique étrangère.

Selon le Conseil fédéral, si nous ne nous intégrons pas institutionnellement à l'UE, nous serons à l'écart.
Après le non à l'Espace économique européen (EEE), on avait déjà prédit que la Suisse serait distancée. Au lieu de cela, nous nous sommes encore améliorés par rapport aux Européens. Les États-Unis observent une croissance des exportations vers l'UE bien plus élevée que la nôtre, alors qu'ils n'ont même pas d'accords bilatéraux, tout comme la Corée du Sud et la Chine. Un accord de libre-échange suffit. Nous devons pouvoir commercer avec le monde entier. Nous lier de manière aussi unilatérale à l'UE serait une erreur.

Et maintenant, vous montez au créneau contre le nouveau paquet de négociations avec Bruxelles.
Le mandat de négociation ressemble à du réchauffé. La problématique de base est toujours la même que celle du premier accord-cadre. Et il est logique que l'UE y aspire. Si j'étais l'UE, je voudrais aussi que nous adoptions sa législation. Elle a des tendances centralisatrices, elle est bureaucratique. Mais notre démocratie directe se verrait vidée de sa substance. Et depuis quand un État doit-il, pour pouvoir faire un peu de commerce, renoncer à sa législation souveraine? C'est extrêmement dangereux. Je suis étonné que les cantons, qui perdraient une partie de leur souveraineté, soutiennent une telle chose. Beaucoup de politiciens qui soutiennent l'accord n'ont probablement pas lu les documents.

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«Sommes-nous prêts à jeter par-dessus bord notre modèle de réussite, juste pour pouvoir participer avec les autres?»
Urs Wietlisbach, cofondateur de Partners Group
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Vous ne comprenez pas que l'on puisse être favorable à ce rapprochement du point de vue de la place économique?
Au début, j'étais moi-même favorable à l'accord-cadre. Même si à l'époque, j'étais marié dans une famille UDC (rires). Puis Marcel Erni m'a approché...

Votre cofondateur de Partners Group.
Il lit énormément et m'a montré le texte de l'accord de l'époque. J'ai pris la peine de le parcourir. Et j'ai constaté que ce n'était tout simplement pas possible.

Les négociateurs ont toutefois annoncé divers succès dans les discussions par rapport à l'accord-cadre.
Tout ça semble très bien, mais à Berne, on s'est simplement créé sa propre réalité. Nous devons nous poser cette question fondamentale: sommes-nous prêts à jeter par-dessus bord notre modèle de réussite, juste pour pouvoir participer avec les autres? Nous pouvons déjà participer.

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«Nos universités jouent dans la cour des grands. Pouvez-vous citer une université de l'UE qui fait partie du top 40?»
Urs Wietlisbach, cofondateur de Partners Group
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Le secteur de la technologie médicale ne partage pas cet avis. Les acteurs de cette industrie se sont plaints des obstacles techniques au commerce après la fin de l'accord-cadre.
C'est un bon exemple. Un grand cri a été poussé, surtout par le conseiller national PLR Simon Michel et son entreprise Ypsomed. Le fait est que les actions d'Ypsomed ont augmenté d'environ 100% depuis la fin de l'accord-cadre. Et l'industrie des technologies médicales a créé 4500 emplois durant cette période. Le secteur se porte manifestement mieux qu'avant.

Le monde scientifique vous contredit également. Les hautes écoles craignent d'être reléguées en deuxième division si nous ne participons pas au programme Horizon.
Premièrement, la Suisse donne sept milliards de francs aux hautes écoles pour la recherche. Horizon rapporterait 300 millions par an. Deuxièmement, il a été dit que les professeurs ne viendraient plus ici. Depuis que nous sommes sortis d'Horizon, les Écoles polytechniques fédérales (EPF) ont à elles seules recruté 21 nouveaux professeurs de l'UE. Ces universités jouent dans la cour des grands. Pouvez-vous citer une université de l'UE qui fait partie du top 40?

Des institutions comme l'Institut Max Planck, par exemple, sont d'envergure mondiale.
L'Institut Max Planck est tout aussi intéressé par une collaboration avec l'Institut Paul Scherrer que l'inverse. Il faut aussi mentionner des lieux très appréciés comme le CERN. En outre, 40% des étudiants en Suisse viennent de l'étranger. Voilà les faits.

Le fait est également que, jusqu'à présent, la majorité des votants a suivi le Conseil fédéral sur les questions européennes. Et le PLR et le Centre se sont abstenus de critiquer le nouveau mandat de négociation.
Je ne comprends pas pourquoi le PLR ne prend pas clairement position contre l'abandon de notre modèle de réussite et contre cette bureaucratie. Le principe des libéraux-radicaux est d'être libre. Dans le dossier européen, le PLR pourrait non seulement défendre le modèle de réussite d'un ordre économique et social libéral, mais aussi le mener vers l'avenir.

Votre collègue Alfred Gantner a annoncé en décembre à Blick une initiative que vous allez lancer avec votre organisation Boussole/Europe. Où en est le projet?
Nous travaillons activement sur une initiative populaire. Cette initiative vise à ancrer dans la Constitution fédérale le fait que nous ne voulons pas sous-traiter la jurisprudence suisse à l'étranger, car il s'agit d'une compétence essentielle de notre État. Nous sommes un État souverain. Il est inacceptable que le Conseil fédéral confie la législation suisse à l'étranger, que ce soit de manière dynamique ou non. Nous ne voulons pas nous soumettre à d'autres lois en matière de politique économique extérieure, ce qui saperait totalement la qualité de la place économique suisse.

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«Nous, le peuple suisse, pourrons décider si nous voulons conserver chez nous la jurisprudence, la démocratie directe et le fédéralisme ou si nous voulons transférer tout cela à Bruxelles, qui est une capitale bureaucratique»
Urs Wietlisbach, cofondateur de Partners Group
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Quand votre initiative sera-t-elle prête? Existe-t-il déjà un texte?
Nous en sommes aux dernières étapes avec nos spécialistes. Nous serons prêts à l'automne. En fin de compte, nous, le peuple suisse, pourrons décider si nous voulons conserver chez nous la jurisprudence, la démocratie directe et le fédéralisme ou si nous voulons transférer tout cela à Bruxelles, qui est une capitale bureaucratique. Nous nous engageons avec force pour préserver les avantages de notre système.

Vous disposez sans aucun doute de suffisamment de moyens pour mener une campagne de votation. Mais il vous manque la puissance d'un parti populaire.
Nous avons un très grand nombre de partisans. Boussole/Europe compte plus de 1500 membres. Et ils sont de plus en plus nombreux.

Votre comité d'initiative est-il déjà constitué?
Nous sommes encore en train de mettre en place le comité. Notre comité de pilotage, qui compte 18 personnalités, en fera certainement partie.

Le projet doit-il uniquement porter le sceau de Boussole/Europe ou cherchez-vous des partenaires dans le monde politique? Par exemple auprès de l'UDC?
Si des partis peuvent se rallier au texte de notre initiative, nous sommes ouverts. L'Opération Libero, par exemple, a trouvé les Vert-e-s comme partenaires. Avec l'UDC, nous avons en partie des intérêts communs. Par exemple, le fait que l'on s'oppose à la législation étrangère. Mais nous sommes pour les accords bilatéraux, nous devrions en conclure autant que possible. C'est là que nous nous distinguons de l'UDC. Je suis contre le repli sur soi. Et peut-être que le PLR se réveillera et voudra à nouveau être libéral-radical.

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