C'est un jour de janvier rude à Moscou. Les températures sont proches de zéro, la neige tombe abondamment et les trottoirs sont boueux. Pourtant, une longue file de personnes s'est encore formée devant le bureau de Boris Nadejdine – un opposant à la guerre qui veut défier le chef du Kremlin Vladimir Poutine lors des élections présidentielles du 17 mars. Représente-t-il l'espoir de la Russie?
Pour que Boris Nadejdine soit admis comme candidat, il lui faut au moins 100'000 signatures de citoyens. Voilà pourquoi les Moscovites se rendent au bureau, même par un temps glacial. Ils tiennent à apporter leur soutien à l'opposant du pouvoir en place.
Tous les âges sont représentés, des étudiants comme des retraités, autant des hommes que des femmes. Les personnes à l'avant de la file racontent qu'elles ont fait la queue pendant près d'une heure. De l'autre côté de la rue, c'est la police qui a pris position.
«Besoin d'une politique anti-guerre»
«C'est le seul candidat qui s'oppose ouvertement aux opérations militaires», confie Iouri à propos de Boris Nadejdine. «Un candidat avec une politique anti-guerre est à mon avis ce dont nous avons besoin», développe Anna, qui se tient à quelques pas derrière Iouri.
En fait, l'élection présidentielle, entachée par des accusations de fraude et de manipulation, revête un objectif clair pour le Kremlin: elle doit assurer à Poutine son cinquième mandat et démontrer ainsi à quel point le peuple soutient encore la guerre contre l'Ukraine, même après presque deux ans. Au lieu de cela, c'est justement le candidat qui est le seul à s'opposer fermement à cette invasion qui fait la une des journaux – et qui rencontre ainsi un soutien inattendu en Russie.
Boris Nadejdine, né à l'époque soviétique à Tachkent dans l'actuel Ouzbékistan, est tout sauf un nouveau venu dans la politique russe. Il a siégé à la Douma d'État de 1999 à 2003 pour le bloc libéral «Union des forces de droite», avant de changer plusieurs fois de parti.
Boris Nadejdine comme porteur d'espoir
Le politicien a des contacts au sein de l'administration présidentielle et est apparu pendant des années dans des talk-shows politiques à la télévision d'État – au grand dam d'autres opposants. Jusqu'à présent, Boris Nadejdine était considéré comme un pragmatique qui coopérait parfois avec les puissants si cela lui semblait utile pour ses propres objectifs.
Aujourd'hui, c'est différent: le principal opposant au pouvoir s'engage sur la voie de la confrontation avec le Kremlin. Certes, il se montre prudent dès qu'il s'agit de critiquer la guerre. Après tout, de telles critiques ont déjà conduit de nombreux autres opposants dans les camps de détention au cours des derniers mois.
Boris Nadejdine parle donc de «tout cela» lorsqu'il évoque la guerre et de «là-bas» lorsqu'il s'agit de l'Ukraine. Mais son message est clair: «le pays veut que tout cela s'arrête. Les gens veulent que ceux qui sont là-bas reviennent», a-t-il par exemple déclaré récemment lors d'un meeting électoral au cours duquel il s'est montré aux côtés de femmes souhaitant le retour de leurs hommes mobilisés.
Certaines personnalités de l'opposition comme Mikhaïl Khodorkovski, qui vit en exil, et Alexeï Navalny, l'opposant à Poutine emprisonné, appellent entre-temps à soutenir Boris Nadejdine. Même la critique du Kremlin Ekaterina Dunzowa, qui voulait elle-même devenir candidate à la présidence, s'est rangée à ses côtés. Elle s'était fait éliminer prématurément de la course par la commission électorale russe fin décembre.
Il a déjà obtenu 200'000 voix
Avec tout ce soutien, Boris Nadejdine a finalement atteint un objectif: à la fin de la semaine dernière, son équipe a annoncé qu'environ 200'000 signatures de citoyens avaient été collectées dans tout le pays – bien plus que ce qui est nécessaire pour son enregistrement en tant que candidat. Mais il n'est pas certain que le leader de l'opposition figure réellement sur le bulletin de vote.
«Je ne pense pas que ce soit très réaliste, car ils veulent contrôler complètement les élections», déclare le journaliste et analyste politique Andrey Pertsev dans un entretien avec l'agence de presse allemande à propos des intérêts du Kremlin. «Mais Boris Nadejdine rassemble derrière lui l'électorat protestataire» ajoute-t-il.
Il est possible que le Kremlin ait d'abord vu d'un bon œil la candidature de Boris Nadejdine – et l'ait considéré comme un pseudo-rival bienvenu, suggérant une possibilité de choix là où il n'y en a pas en réalité. Mais avec sa critique ouverte de la guerre, le candidat est depuis longtemps devenu une épine dans le pied de Poutine, estime Andrey Pertsev, qui vit en exil et travaille pour le portail russe indépendant Meduza ainsi que pour le groupe de réflexion Carnegie Endowment for International Peace.
Pas un concurrent pour le Kremlin
Certes, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a déclaré récemment, lorsque des journalistes l'ont interpellé au sujet du nouveau candidat: «Nous ne le considérons pas comme un concurrent». Mais Andrey Pertsev en est convaincu: si Boris Nadejdine était effectivement admis comme candidat, ce serait un «vrai risque» pour le Kremlin, étant donné la lassitude de nombreux Russes face à la guerre.
Le moment est particulièrement propice pour stopper Boris Nadejdine du point de vue de l'appareil du pouvoir, explique l'expert. Les conditions pour être admis comme candidat sont complexes. Les exigences en termes de formalités pour les signatures des citoyens sont élevées. Pour la commission électorale, qui doit examiner les signatures jusqu'au 10 février, il est donc facile de refuser le statut de candidat sous un prétexte quelconque.
«Il y a des opposants à la guerre en Russie»
De nombreux partisans de Boris Nadejdine savent également qu'un opposant à la guerre comme lui n'a guère de chances dans la Russie de Poutine, qui se montre de plus en plus répressive envers les dissidents. C'est pourquoi beaucoup ont surtout considéré leur signature comme une nouvelle possibilité d'exprimer leur mécontentement, alors que les protestations anti-guerre sont depuis longtemps sévèrement réprimées.
Natalia, une femme de 34 ans, demande explicitement à être incluse dans cet article. Il y a de nombreux partisans de la guerre en Russie, mais le monde devrait voir qu'il y a aussi des opposants à la guerre, dit-elle. Les nombreuses personnes dans la file d'attente l'ont encouragée. Elle ajoute: «même si Boris Nadejdine ne gagne pas, je sais maintenant que je ne suis pas seule. Qu'il y a beaucoup de gens qui ne soutiennent pas tout cela et qui veulent que la guerre s'arrête au plus vite.»
(avec ATS)