Ukraine, la paix à quel prix
Zelensky doit l'accepter: il ne peut pas gagner contre Trump et Poutine

Le président ukrainien s'est transformé avec succès en chef de guerre depuis l'agression russe du 24 février 2022. Mais ses compatriotes ne le croient pas capables de l'emporter face à Trump et Poutine. Car tous les deux veulent l'écarter de leurs pourparlers de paix.
Publié: 14.02.2025 à 19:02 heures
1/5
Volodymyr Zelensky a été élu président de l'Ukraine en avril 2019 avec 73% des suffrages face au sortant Petro Porochenko.
Photo: keystone-sda.ch
Blick_Richard_Werly.png
Richard WerlyJournaliste Blick

«Vous vous souvenez de la métaphore du taxi? Et bien, peut-être que Zelensky, aujourd’hui, doit accepter de monter dedans?» L’enseignante qui nous parle est une Ukrainienne de Lviv (près de la frontière polonaise), réfugiée à Bruxelles après le début de la guerre, le 24 février 2022.

Yulya est arrivée dans la capitale belge (et européenne) quelques semaines après l’agression décidée par Vladimir Poutine et la tentative ratée de l’armée russe de prendre le contrôle de Kiev. Elle racontait alors partout, avec fierté, la fameuse réponse que son président, Volodymyr Zelensky, aurait fait à son homologue Joe Biden, qui lui proposait de l’exfiltrer: «Je n’ai pas besoin d’un taxi, mais d’armes pour combattre.» Fière, oui. Mais trois ans plus tard? «Je déteste le reconnaître et je suis triste pour lui, dit-elle, mais Zelensky fait partie du problème.»

Autre son de cloche chez un diplomate français. Ce dernier était aux avant-postes lors de l’assaut sur Kiev, bloqué par les forces ukrainiennes lors de leur épique défense de l’aéroport de l’aéroport d’Hostomel, où les avions Antonov russes remplis de forces spéciales cherchaient à atterrir. Il se souvient de l’héroïsme de celui qui, en l’emportant avec 73% des suffrages en avril 2021 contre le président sortant Petro Porochenko, avait stupéfié tout le monde.

Roi de la communication

«Tout sonnait juste chez Zelensky en 2022. Il a su trouver les mots et l’attitude pour incarner la résistance de son peuple. Sa communication, ses sweat-shirts noirs ou kaki, pour incarner sa symbiose avec l’armée en lutte… Tout était parfait.» Et maintenant? «J’avoue ne pas comprendre pourquoi il continue de s’habiller ainsi. La continuation de la guerre à tout prix ne peut pas être un projet pour l’Ukraine et pour son peuple.»

Munich, 14 février 2025. Volodymyr Zelensky s’apprête à vivre le moment politique sans doute le plus compliqué de sa carrière. Sur le parvis de l’hôtel de luxe Bayerische Hof, derrière les barricades policières renforcées après l’attentat à la voiture-bélier qui s’est déroulé jeudi dans la capitale bavaroise, des Ukrainiens réfugiés en Allemagne attendent «leur» président. Peut-il tenir face à Donald Trump et Vladimir Poutine, pressés de négocier une paix qui pourrait bien être à son détriment?

«Serviteur du peuple»

Les visages se crispent. Oleg ne devrait pas être ici. Il a 32 ans. En Ukraine, sa place serait en première ligne, avec tous les hommes mobilisés de sa génération. Le trentenaire a échappé à la conscription parce qu’il se trouvait à Munich avant la guerre, comme ouvrier dans le bâtiment. «Je pense que Trump et Poutine méprisent tous les deux Zelensky. Tous les deux le voient comme un comédien (ce qu’il était avant d’être élu, grâce à la popularité de la série télévisée dont il était le héros, «Serviteur du peuple», très populaire en Russie). Ils ne le respecteront jamais.»

Contenu tiers
Pour afficher les contenus de prestataires tiers (Twitter, Instagram), vous devez autoriser tous les cookies et le partage de données avec ces prestataires externes.

L’équation Zelensky est personnelle, politique, familiale, économique. Le président de 47 ans aurait dû, si la guerre et la loi martiale ne l’avaient pas empêché, remonter sur le ring électoral en mai 2024, peu de temps après la réélection triomphale de Poutine le 18 mars, avec 87% des voix. Aurait-il remporté ce scrutin? A priori oui si l’on regarde les sondages disponibles en Ukraine. Selon l’un des derniers, publié en janvier par l’Institut de sociologie de Kiev, 39% des 2000 personnes interrogées ont affirmé ne plus avoir confiance dans le chef de l’État, tandis que 52% continuent de croire en lui.

Trump veut des élections

Donald Trump, lui, ne partage en tout cas pas du tout cette vision des choses. Le locataire de la Maison Blanche, qui a rencontré Zelensky à Paris après sa réélection en novembre, en marge des cérémonies de réouverture de Notre-Dame, cache mal son aversion pour ce professionnel de la télévision reconverti en homme politique. Trump l’a d’ailleurs dit d’emblée: il veut des élections en Ukraine dès que possible. Zelensky, fort de sa légitimité de résistant, est un obstacle à ses futurs «deals» avec Poutine, qu’il espère le plus lucratifs possible.

François Heisbourg, expert reconnu des questions stratégiques et ancien directeur du Centre de politique et de sécurité de Genève, anticipe même dans son dernier essai «Un monde sans l’Amérique» (Ed. Odile Jacob), son exil forcé sur une base militaire américaine lointaine. Fiction? «Je ne vois pas Trump accepter d’être régulièrement défié ou contredit par Zelensky, explique-t-il à Blick. Pour le moment, ce dernier est très habile. Il multiplie les ouvertures. Il se dit prêt à négocier. Il a compris que l’ancien promoteur immobilier veut les terres rares ukrainiennes. Mais ça ne va pas suffire.»

Zelensky et Churchill

L’ancien ambassadeur de France à Moscou Claude Blanchemaison a, lui aussi, écrit un essai utile pour comprendre la Russie actuelle «Vivre avec Poutine» (Ed. Temporis). Il confirme: «Volodymyr Zelensky ne sera jamais Churchill, à qui on l’a souvent comparé pour sa résistance et sa force de caractère. Le Churchill de 1940 a trente ans de carrière politique et militaire derrière lui. Il a ses réseaux aux États-Unis. Il domine la scène politique sans partage.» Et Zelensky? «Il a changé le cours de la guerre, mais pas changé l’Ukraine. Il était entouré d’oligarques avant le conflit. On voit bien que son pouvoir tient plus de l’équilibrisme que du rapport de force. Si vous lui enlevez son talent médiatique, incontestable, il reste quoi?»

Evaluer les chances de Zelensky de tenir tête à Trump et à Poutine (qui ne veut en aucun cas négocier avec lui, et a plusieurs fois cherché à le faire tuer) revient à s’interroger sur le système de pouvoir en Ukraine. Le pays n’a pas tenu grâce à son «président-icône». Il a tenu parce que la société s’est mobilisée, parce que les maires des grandes villes, même russophones comme Odessa ou Kharkiv, ont fait front contre l’agresseur.

Peuple en guerre

«L’Ukraine est un peuple en guerre. Zelensky n’a jamais été perçu comme le chef suprême. Il est plutôt le catalyseur», estime notre diplomate en poste à Kiev en février 2022. Or l’un peut-il fonctionner sans l’autre? «Zelensky a pour lui une carte: il est très habile. Il continue de savoir parler aux gens ordinaires. Mais il lui faut des soutiens politiques lourds pour survivre. Il a donc absolument besoin du soutien des Européens, que Trump comme Poutine cherchent à marginaliser…»

Chaque guerre engendre son lot de rancœurs, d’histoires sordides, de règlements de comptes. Celle qui dure depuis bientôt trois ans en Ukraine n’y échappe pas. Les réseaux sociaux sont remplis de billets accusateurs sur les milliards d’euros détournés par Zelensky et son épouse, Olena Zelenska. On parle d’une villa en Toscane, à Forte dei Marmi, station balnéaire prisée des Russes. De quoi alimenter les pires ragots sur X, le réseau social d’Elon Musk, bras armé de Trump, et sur VKontakte, le réseau social russe.

On ressort les fautes commises par Zelensky, dont le décret prévoyant un «plan d’action pour préserver l’identité nationale des Ukrainiens dans la fédération de Russie», signalé en janvier 2022, avait provoqué la colère du Kremlin. Alors, le clap de fin approche-t-il pour le «Serviteur du peuple»? «Je ne le crois pas, juge un journaliste qui revient du front de Pokrovsk, en Ukraine. Zelensky garde une capacité de nuisance que la Maison Blanche redoute. Aucun embryon d’accord de paix ne peut, aujourd’hui, prendre forme sans, a minima, sa participation.»

Scénarios tachés de sang

Après? Les spécialistes de l’Ukraine multiplient les scénarios. Certains sont tachés de sang. «Zelensky pourrait être assassiné. N’oublions pas comment Poutine règle le sort de ses ennemis, présents ou passés», nous avouait en novembre aux Etats-Unis Edward Verona, chercheur russophone de l’Atlantic Council.

Claude Blanchemaison évoque, comme d’autres diplomate, la possibilité de voir émerger sur la scène politique le Général Valery Zaloujny, ambassadeur d’Ukraine à Londres après avoir commandé l’armée durant les deux premières années de guerre. «A tous les pays de l’ex-Union soviétique: regardez-nous, tout est possible», aimait répéter Volodymyr Zelensky au début du conflit. Oui, mais jusqu’où? Et à quel prix?

Dernier épisode: «On va négocier quoi ? Notre vie, comme du bétail ?»

Découvrez nos contenus sponsorisés
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la