Ukraine, la paix à quel prix (1/3)
«Pourquoi les Européens veulent qu'on se fasse déchiqueter par Poutine?»

Ils sont des millions d'Ukrainiens à penser comme ça alors que les ministres de l'OTAN sont réunis ce jeudi à Bruxelles. Ils estiment qu'ils sont le prix humain à payer pour la paix. Poutine? Oui, c'est un tyran. Mais Trump? Lui au moins parle d'arrêter l'horreur.
Publié: 13.02.2025 à 14:08 heures
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Trump, Zelensky, Poutine: C'est entre ces trois hommes que la négociation pour la paix en Ukraine se joue.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il faut les écouter. A tout prix. Contactés au téléphone ou par visioconférence, ces Ukrainiens désespérés laissent sur les réseaux sociaux une constellation de messages désespérés. Ils n’ont aucune illusion sur la volonté de la Russie de Vladimir Poutine de continuer à menacer leur pays, pour mieux l’asservir. Mais ils n’en peuvent plus.

Ils sont épuisés. Ils ne supportent plus de voir leurs hôpitaux remplis de jeunes hommes mutilés. Alors la paix à la hussarde de Trump? «Les Européens qui s’y opposent veulent quoi? Que l’on continue à se faire massacrer par Poutine?» s’énerve Dimitri, un ingénieur basé à Kiev, rencontré lors d’un reportage sur place en mai 2024. La capitale ukrainienne a encore subi ces dernières heures des frappes de missiles russes. «L’arrêt des combats n’a pas le même sens quand vous êtes à Paris, Londres, ou déployé sur la ligne de front» juge Dimitri.

Munich, le rendez-vous

La paix en Ukraine, à quel prix? Telle est la question qui va hanter, à partir de ce vendredi 14 février, la conférence annuelle sur la sécurité de Munich (Allemagne), où le Vice-président américain JD Vance doit rencontrer le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Mais de quel prix parle-t-on?

Pour les pays européens qui continuent de soutenir l’Ukraine militairement et financièrement (pour un montant d’environ 53 milliards d’euros en 2024), il s’agit de tenir Vladimir Poutine à distance, et de faire en sorte que l’Ukraine continue de servir de bouclier sur le flanc est de l’Union européenne (UE) et de l’Alliance atlantique (OTAN). Pour les Etats-Unis de Donald Trump, le prix est d’abord politique. L’arrêt des hostilités peut être une victoire diplomatique de taille pour son Président, à la recherche d’une stature internationale. Mais il est aussi financier: Trump veut les terres rares ukrainiennes, et Zelensky est prêt à lui en concéder l’exploitation. Quant à la Russie de Poutine, on connaît son prix: l’anéantissement de toute velléité d’émancipation nationale et démocratique dans les pays de sa proche périphérie. Le Tsar des populations russophones demeure à Moscou. Point.

La vérité des sondages

Ce prix, les Ukrainiens l’évaluent, eux, autrement. Selon le Kyiv International Institute of Sociology, l’opinion publique (car il y en a une dans ce pays en guerre, où la liberté de s’exprimer existe) a radicalement changé sur de possibles négociations de paix. En mai 2022, 40% des Ukrainiens étaient favorables à l’ouverture de pourparlers, pour tomber autour de 30% en janvier 2023, dans la foulée de la contre-offensive alors réussie de l’armée ukrainienne, et le spectacle de la débâcle de l’armée russe. Aujourd’hui? Entre 57% et 65% des personnes interrogées veulent des négociations. 38% continuent de s’y opposer radicalement.

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La grande majorité des Ukrainiens ont compris que Poutine veut les voir à genoux et ils ne l’acceptent pas
Commentaire d'un diplomate français
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Alors, Trump et son échange téléphonique d’une heure trente mercredi 12 février avec Poutine? «Les sondages sociologiques en Ukraine révèlent une population en pleine évolution. Elle s’est transformée et s’est adaptée dans la violence de la guerre» juge, à Paris, l’observatoire «Le Grand Continent» qui compile les données. Confirmation sur place avec un diplomate français qui fut, jusqu’en 2024, en poste à Kiev: «Il faut distinguer deux choses quand on parle de la paix. Sur le plan de l’identité et du nationalisme, le conflit a transformé le pays en un bastion anti-russe. C’est fini. La grande majorité des Ukrainiens ont compris que Poutine veut les voir à genoux et ils ne l’acceptent pas. L’idée selon laquelle ils sont prêts en revanche à continuer de se sacrifier pour défendre l’Europe est fausse. Si on laisse les combats se poursuivre, et décimer les jeunes générations, la rancœur antieuropéenne deviendra énorme».

Donald Trump veut tout bousculer. Ses négociateurs ont directement discuté avec Vladimir Poutine au Kremlin, avant l’échange téléphonique entre les deux Présidents. Parmi eux se trouvait celui qui semble être, sur ce conflit aussi, l’homme de confiance du locataire de la Maison-Blanche, l’ex promoteur immobilier Steve Witkoff, crédité pour avoir imposé le cessez-le-feu à Gaza (aujourd’hui très menacé) au Premier ministre Israélien Benjamin Netanyahu. Est-ce choquant pour les Ukrainiens qui ont élu, le 21 avril 2019, un comédien novice en politique nommé Volodymyr Zelensky? Non.

Magnat de la confiserie

L’ancien Président ukrainien Petro Porochenko (2024-2019) est un magnat de la confiserie. La population sait que les oligarques ukrainiens comme Ihor Kolomoïsky (arrêté en septembre 2024 pour «blanchiment) ont financé l’ascension de Zelensky. «En Ukraine, on croit au pouvoir de l’argent poursuit Dimitri, notre contact à Kiev. Les Européens croient au droit. Nous pas».

Vient la question qui fait mal. Celle que Bruxelles, Berlin, Paris et Londres veulent à tout prix éviter d’aborder de front: «Pourquoi les Européens veulent qu’on se fasse déchiqueter par Poutine?» C’est Dimitri qui le dit. Mais aussi Marta, gérante d’une librairie à Kiev le jour et réparatrice de drones la nuit pour l’armée Ukrainienne. Marta n’aime pas le style de Trump. Elle a lu que le Président américain est fasciné par Poutine. Mais à deux reprises, la trentenaire a expérimenté, avec ses collègues dronistes envoyés près de Pokrovsk dans l’oblast de Donetsk, les bombes planantes russes qui dévastent tout, y compris les abris dans les tranchées.

Marta raconte comment elle s’est retrouvée le souffle coupé, hagarde, lorsqu’une bombe a littéralement soulevé un véhicule blindé ukrainien, avec des blessés à bord qui n’ont pas survécu. «Quel ministre européen est venu ici, avec nous? Qui? On peut aimer sa patrie et ne pas vouloir mourir pour les provinces de toute façon perdues de l’est de l’Ukraine.»

Pas seulement la diplomatie

Le prix de la paix est ce qui compte le plus. Et il ne peut pas se résumer à une équation diplomatique. Il y a la situation militaire sur le terrain, pour le moment à l’avantage des Russes, malgré l’autorisation donnée aux Ukrainiens de frapper en profondeur la Russie avec les missiles occidentaux à longue portée, et l’arrivée de nouveaux avions Mirage 2000 livrés par la France, destinés à consolider en priorité la protection antiaérienne. Il y a le grand jeu diplomatique qui va se dérouler à Munich, puis dans les couloirs des QG de l’UE et de l’OTAN, à Bruxelles. Il y a les intérêts économiques, avec en vue une reconstruction du pays dont le coût pourrait dépasser les mille milliards d’euros (le chiffrage de la Banque mondiale varie entre 400 et 600 milliards).

Et il y a les hommes et les femmes. Les 37 millions d’Ukrainiens. Les 133'000 conscrits qui ont rejoint l’armée en 2024. Les 600'000 soldats déjà mobilisés, déployés au quotidien. Les 400'000 blessés depuis l’agression russe du 24 février 2022. Cette population vit l’horreur, dans un pays tenu à bout de bras par l’aide occidentale. Combien de temps pourra-t-elle la supporter?

Prochain épisode: «Volodymyr Zelensky est le héros et le problème de l’Ukraine»

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