Les gagnants et les perdants du plan de paix américain
Trump veut-il sacrifier l'Ukraine pour de bon?

L'administration Trump a révélé mercredi les premières mesures de son plan de paix pour l'Ukraine. La Russie pourrait gagner du terrain, tandis que Kiev devrait faire de terribles concessions. Dès lors, ce plan revient-il à sacrifier l'Ukraine? Notre synthèse.
Publié: 10:56 heures
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Dernière mise à jour: 11:27 heures
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Donald Trump a déclaré mercredi qu'il avait eu une conversation téléphonique longue et très productive» avec Vladimir Poutine.
Photo: keystone-sda.ch
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Daniel Jung

Vladimir Poutine peut avoir le sourire: le ministre de la Défense a révélé les premières mesures du plan de paix américaine pour l'Ukraine. Et l'Ukraine apparait clairement comme la grande perdante du paquet de mesures proposé par Washington. Et pour cause, comme la presse l'avait déjà pressenti au cours de la semaine écoulée, le plan implique que Kiev renonce à ses velléités d'adhésion à l'OTAN et cède ses territoires occupés à la Russie. Sauf que cette fois, c'est officiel.

Donald Trump a par ailleurs annoncé qu'il s'était longuement entretenu au téléphone avec Vladimir Poutine pour discuter de l'avenir de l'Ukraine. «Nous avons convenu de travailler très étroitement ensemble et de visiter chacun également la nation de l'autre.» Le président ukrainien Volodimir Zelensky n'en a été «informé» qu'ultérieurement, lors d'un autre appel téléphonique, a fait savoir Donald Trump.

S'il venait à être appliqué, ce plan sonnerait non seulement le glas de bon nombre de revendications ukrainiennes, mais il affaiblirait aussi considérablement l'Europe. La guerre en Ukraine est-elle en train de basculer? Blick fait le point sur les dernières annonces.

Quelles sont les annonces de Pete Hegseth?

Le ministre américain de la Défense Pete Hegseth s'est exprimé lors d'une réunion sur l'Ukraine à Bruxelles. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que ses annonces n'ont rassuré ni Kiev, ni les autres pays européens.

Le nouveau chef du Pentagone a notamment expliqué qu'un retour aux frontières de 2014 – et donc un retour de la Crimée dans le giron ukrainien – n'était pas réaliste. «Poursuivre cet objectif illusoire ne fera que prolonger la guerre et causer davantage de souffrances», a-t-il déclaré.

Pete Hegseth a également indiqué que Kiev devra renoncer à rejoindre l'alliance militaire transatlantique. «Les Etats-Unis ne pensent pas que l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan soit un résultat réaliste», a-t-il dit.

Et qu'a dit Trump?

Donald Trump a expliqué mercredi qu'il avait eu une «longue et très productive conversation téléphonique» avec le président russe Vladimir Poutine. Il a assuré qu'il souhaitait entamer «immédiatement» des discussions avec le chef du Kremlin pour mettre fin le plus vite possible à la guerre en Ukraine.

«Je pense que ces efforts aboutiront à une conclusion fructueuse, bientôt, j'espère!», a-t-il écrit sur son réseau Truth Social. «Nous voulons mettre fin aux millions de morts de la guerre avec la Russie et l'Ukraine», a-t-il ajouté. 

A-t-on sorti le champagne au Kremlin?

Assurément. Avec ce plan, la Russie pourrait atteindre une partie importante de ses objectifs de guerre. En l'état, la Russie contrôle environ 20% du territoire ukrainien dans le sud et l'est du pays. Et justement: les régions occupées par Moscou sont industrialisées et riches en matières premières. Poutine aurait donc tout intérêt à en prendre le contrôle définitif. Quant à la Crimée, elle est déjà occupée par la Russie depuis 2014.

En outre, la Russie a toujours exigé que l'Ukraine ne rejoigne pas l'OTAN. Là aussi, le Kremlin sortirait grandement victorieux du plan américain. Pour couronner le tout, Vladimir Poutine, qui est persona non grata en aux Etats-Unis depuis le début de la guerre, a été invité aux Etats-Unis par Donald Trump. Menacé d'arrestation dans plusieurs pays, le président russe entrevoit désormais la fin de sa mise au ban à l'international.

Zelensky est-il le grand perdant du plan?

Depuis le début de la guerre, Volodymyr Zelensky a remporté de nombreux succès, parfois à la surprise générale. Mais il pourrait bien être obligé de faire une croix sur l'objectif principal qu'il poursuit depuis longtemps, à savoir récupérer l'ensemble du territoire ukrainien. Pour l'Ukraine, les déclarations de Pete Hegseth sont une véritable douche froide, qui était toutefois pressentie depuis longtemps.

Le fait que l'Ukraine perde le contrôle d'environ 20% de son propre territoire est pratiquement inévitable, expliquait l'expert militaire Ralph Thiele à Blick il y a une semaine. A très long terme, l'Ukraine peut espérer récupérer ces territoires, par exemple dans le cadre d'une réunification. Mais dans l'immédiat, Kiev va vraisemblablement devoir y renoncer.

Que veulent vraiment les Américains?

En faisant tout pour obtenir une paix rapide, Donald Trump poursuit trois objectifs. Premièrement, il veut tout simplement mettre fin à la guerre. Deuxièmement, il souhaite ne plus avoir à se focaliser sur l'appareil de défense européen, ce qui lui permettait de se concentrer pleinement sur la sécurisation des frontières aux Etats-Unis et sur sa guerre commerciale avec la Chine. Troisièmement, les Etats-Unis souhaitent depuis longtemps accroitre la contribution des Etats européens à la sécurité internationale.

«Les Etats-Unis restent engagés dans l'OTAN et dans le partenariat de défense avec l'Europe, sans «si» et sans «mais», a déclaré Pete Hegseth à Bruxelles. Mais il a aussi promis que les Etats-Unis ne toléreront plus de «relations déséquilibrées». Aux yeux de Washington, les Européens devraient donc investir beaucoup plus dans leur défense et assurer eux-mêmes la majeure partie de l'aide militaire à l'Ukraine.

Et les Européens dans tout ça?

Les experts européens en matière de sécurité préconisent depuis longtemps de ne pas laisser la Russie reprendre des territoires à l'Ukraine, car la guerre pourrait devenir partiellement «rentable» pour Vladimir Poutine. De même, de tels gains territoriaux pourraient éveiller d'autres velléités de conquête. Malgré cette crainte, les Européens n'ont pas souhaité équiper l'armée ukrainienne de manière à ce qu'elle puisse chasser les Russes du pays.

L'expert militaire allemand Carlo Masala s'est récemment exprimé dans le podcast «Ronzheimer» et a évoqué une «situation perdant-perdant». «Nous allons avoir des négociations, dont l'Ukraine et les Européens seront exclus», a-t-il déploré. «On ne nous demandera pas si nous sommes d'accord avec le résultat.» L'Europe risque en outre de devoir assurer elle-même la paix. «Si j'étais Poutine, je jubilerais», a conclu l'expert.

Quelle est la suite des événements?

L'envoyé spécial de Trump pour l'Ukraine, l'ancien général Keith Kellogg, s'exprimera ce week-end sur l'état des négociations, lors de la conférence sur la sécurité de Munich. «Nous avons ici une réelle opportunité de mettre fin à la guerre», a-t-il d'ores et déjà déclaré.

Le fait que Trump puisse effectivement conclure son accord sur l'Ukraine n'a toutefois rien d'acté. Tatiana Stanovaïa, spécialiste de la Russie auprès du think tank «Carnegie Russia Eurasia Center», estime ainsi que les négociations pourraient échouer, notamment si Poutine cherche à trop contrôler l'Ukraine. La présence de troupes internationales en Ukraine est un autre sujet dangereux pour le bon déroulement des pourparlers.

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