Volodymyr Zelensky combat, plus que jamais, pour sa survie. Survie politique bien sûr, après avoir été traité de «dictateur» par Donald Trump alors qu’une nouvelle élection présidentielle – son mandat s’est achevé en mai 2024 – ne peut pas être organisée pleine guerre. Survie tout court, tant les pressions déployées contre lui pourraient aussi aboutir, dans une Ukraine plongée dans la guerre depuis le 24 février 2022, à son élimination physique.
C’est dans ce contexte sous très haute tension diplomatique que le président ukrainien a tenu dimanche 23 février une conférence de presse à Kiev. Il se sait encerclé. Il doit desserrer l’étau tendu désormais à la fois par Donald Trump et Vladimir Poutine. Possible. A condition de vaincre ces 5 démons.
Le démon du chantage américain
On peut s’indigner de la méthode employée par Donald Trump. Mais elle est conforme au président américain. Seule compte pour lui la victoire, et la condition pour l’obtenir est le plus souvent de mettre ses adversaires, ou ses partenaires, dans les cordes, en les forçant à accepter son «deal». En clair: Volodymyr Zelensky fait face à un chantage de la part de son allié le plus précieux dans la lutte contre la Russie de Vladimir Poutine qui a lancé ses troupes contre l’Ukraine voici pile trois ans, le 24 février 2022. Chantage sur les terres rares ukrainiennes, que Trump considère comme une juste rétribution pour l’effort de guerre consenti jusque-là. Chantage sur l’aide (les Etats-Unis ont, depuis trois ans, débloqué 114 milliards d’euros pour l’Ukraine sous toutes les formes). Chantage économique autour de la reconstruction. Pour arrêter cette machine infernale, Zelensky a besoin d’alliés solides (les Européens peuvent-ils l’être), et d’un puissant lobbying à Washington.
Le démon de la diplomatie russe
Moscou veut revenir sur le terrain diplomatique. Il est à son avantage. La Russie dispose d’un siège de membre permanent au Conseil de sécurité où elle devrait pouvoir compter sur l’appui de la Chine. Négocier maintenant, sans aucune concession, alors qu’elle a agressé l’Ukraine et violé ses frontières reconnues internationalement, serait une brèche très favorable pour Vladimir Poutine. Or les Russes conservent une excellente diplomatie, incarnée par l’absolu cynisme de son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, félicité par Elon Musk sur son réseau social X. Pour vaincre ce démon diplomatique, l’Ukraine doit préparer un plan alternatif de paix avec ses alliés. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, sera à Kiev ce lundi 24 février avec plusieurs dirigeants de l’UE. Les Russes jouent plusieurs cartes. Ils veulent une Ukraine neutre. Une Ukraine définitivement hors de l’OTAN. Chacune de ces propositions doit être étudiée pour ramener la paix. Mais toutes sont piégées.
Le démon de la division
Il est faux de dire que Volodymyr Zelensky n’a plus que 5% d’opinions favorables dans son pays, comme l’a affirmé Trump. Mais il est tout aussi faux de prétendre que l’Ukraine n’est pas divisée, tant sur la poursuite de la guerre que sur son président, qui devra tôt ou tard affronter les urnes. Volodymyr Zelensky, paradoxalement, est aujourd’hui mieux placé qu’avant l’arrivée de Trump à la Maison Blanche. La fierté ukrainienne existe. La nation ukrainienne s’est consolidée au fil de ces trois ans de guerre. Le rejet de la Russie est massif. Mais il faut, pour convaincre les partenaires de l’Ukraine, une unité nationale tangible. Plus la classe politique ukrainienne sera divisée, plus il sera facile pour Trump, comme Poutine, de pousser leurs pions.
Le démon de la corruption
C’est l’accusation qui fait le plus mal à l’Ukraine, vue de l’étranger. Et elle a des raisons d’être. La corruption demeure endémique dans le pays même si Volodymyr Zelensky a plusieurs fois, depuis le début de la guerre, écarté des ex-proches, ou hauts responsables militaires, soupçonnés d’avoir profité de leurs positions. Pourquoi est-ce une priorité? Parce que l’une des cartes en main pour le pouvoir ukrainien est la possible accélération de l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne. On commence à parler sérieusement de 2030. Pour cela, il faut qu’un grand ménage anticorruption ait lieu. Mais est-ce possible? Le paradoxe est que le retour de la paix, accompagné potentiellement d’aides massives à la reconstruction, sera une source de nombreux «deals» très lucratifs…
Le démon européen
Emmanuel Macron sera dans le bureau ovale, à la Maison Blanche, presque au même moment que les cérémonies de commémoration, à Kiev, des trois ans de guerre. Le premier ministre britannique Keir Starmer lui succédera le 27 février. Entre-temps, on connaîtra le résultat des élections législatives allemandes de ce dimanche, dont le conservateur Friedrich Merz devrait sortir vainqueur. Tout cela exige, de la part de l’Ukraine, une offensive politique pour verrouiller un soutien des Européens. La pression sera en particulier maximale sur Paris et Londres, si une résolution américaine est examinée dans les jours prochains au Conseil de sécurité des Nations unies. Trois sujets sont indispensables pour tenir bon. Le président ukrainien doit obtenir de ses partenaires européens une promesse de livraisons d’armes à long terme. Il doit obtenir aussi la garantie des Français et des Britanniques sur le fait qu’ils s’opposeront, à l’ONU, à tout règlement trop favorable à la Russie. Il doit enfin négocier des garanties de sécurité crédibles – un contingent européen déployé en Ukraine? Une protection aérienne? – que seul un déploiement de force, face à la Russie, peut matérialiser.