Thomas Greminger se serait bien passé de cette publicité. Le diplomate suisse, ancien secrétaire général de l’Organisation pour la sécurité en Europe (OSCE) basée à Vienne est l’homme qui a orchestré les rencontres secrètes, ces dernières semaines, entre émissaires russes et américains. Même si son rôle dans les discussions reste à éclaircir, le fait est que le Centre de Politique et de sécurité de Genève (GSCP) qu’il dirige depuis le 1er mai 2021 a réussi ce qui était demandé: mettre autour de la table des négociateurs dans une totale discrétion. Ce qui, au vu des négociations à venir, demeure un atout aux yeux des protagonistes.
Même si la rencontre annoncée entre Vladimir Poutine et Donald Trump aura lieu en Arabie saoudite, où les deux pays ont envoyé la semaine dernière des délégations dirigées par leurs ministres des Affaires étrangères respectifs, la Suisse n’est donc pas hors-jeu. Logique. Outre le fait qu’elle dispose de solides arguments sur des dossiers tels que le désarmement nucléaire ou l’Iran (ce pays où la Confédération représente les Etats Unis depuis 1980), la diplomatie helvétique sait encadrer, organiser et héberger de longs processus de négociations.
Ex-Yougoslavie
Ce fut le cas dans les années 1990 sur la guerre de l’ex-Yougoslavie. L’Hôtel Intercontinental de Genève était alors le repère de toutes les délégations balkaniques. Une période sombre pour l’Europe, déjà. Mais qui déboucha finalement sur des accords de paix négociés en novembre 1995 à Dayton (Ohio), puis signés le 14 décembre 1995 à Paris.
Cela veut-il dire que la Suisse, qui applique depuis le début de la guerre en Ukraine les sanctions occidentales contre la Russie, est redevenue un interlocuteur crédible aux yeux de Moscou? L’écueil diplomatique se trouve en effet de ce côté. La Russie, dont les oligarques ont toujours apprécié les banques suisses et ont longtemps utilisé Genève pour leur négoce de matières premières, a très mal vécu ce qu’elle considère comme une brèche dans la neutralité. Soit. Mais vers quelle place diplomatique se tourner, lorsqu’il s’agit de discuter à l’abri des regards? «Amener des experts et des diplomates en Suisse est plus simple qu’ailleurs argumente un ambassadeur européen. Les discussions qui ont eu lieu en Suisse relevaient du «Track 2», la voie diplomatique informelle. On ne négociait pas, on discutait».
Rapprocher les points de vue
Pourquoi, demain, continuer de le faire en Suisse lorsqu’il faudra rapprocher les points de vue américains, russes, ukrainiens et européens? «Une négociation, ce n’est pas qu’une table et des émissaires. C’est une infrastructure. La possibilité d’avoir des bases de repli pour ceux qui discutent, à savoir leurs ambassades. On peut aussi citer l’expérience de la Suisse dans trois domaines qui seront sur la table: l’éventuelle future neutralité de l’Ukraine, un possible fédéralisme dans le pays, et les matières premières que sont les terres rares, convoitées par les Etats-Unis». Sur ces sujets, les Saoudiens n’offrent aucune expertise.
Le point difficile est d’obtenir de la Russie qu’elle referme la parenthèse que le sommet du Burgenstok de juin 2024. La Suisse ne l’avait pas invité. Il s’agissait de soutenir l’Ukraine. Impossible à oublier? Pas si sûr. Il faut aussi avoir en tête que la Suisse a l’expérience de la surveillance et du contrôle d’un cessez-le-feu en vigueur depuis 1953 et souvent évoqué à propos de l’Ukraine: celui qui a résulté de la guerre de Corée et du partage en deux de la Péninsule. Une mission d’observation suisse est présente sur place, à deux kilomètres de la zone démilitarisée, près de Panmunjeon. La Suisse intervient dans le cadre de la Commission de supervision des nations neutres en Corée (CSNN). Et si demain, un mécanisme similaire était instauré pour l’Ukraine?
Apport des Nations unies
Dernier point: l’infrastructure de l’ONU à Genève. Les Etats-Unis viennent de proposer un projet de résolution à l’Assemblée générale des Nations Unies qui ne mentionne pas le respect de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Est-ce sérieux? Même si elle n’est plus membre en 2025 du Conseil de sécurité de l’ONU (elle l’a été en 2023 et 2024), la Suisse peut, là aussi, apporter une contribution.
Trump et Poutine peuvent se rentrer ailleurs, loin des Alpes. La vérité est qu’ils vont sans doute encore avoir besoin de la Suisse. Et l’Ukraine aussi.