Ukraine, la paix à quel prix 3/3
«L'Ukraine doit draguer Trump, et coucher avec lui s'il le faut»

De quels leviers dispose l'Ukraine dans la future négociation entre Donald Trump et Vladimir Poutine? A la Conférence sur la sécurité de Munich, les diplomates et les militaires n'y vont pas par quatre chemins.
Publié: 15.02.2025 à 18:56 heures
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Dernière mise à jour: 15.02.2025 à 20:08 heures
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A Munich, en pleine conférence sur la sécurité, des manifestants ont de nouveau défendu le soutien à l'Ukraine.
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Il est l’un des meilleurs décodeurs du logiciel Trump. Sénateur de Caroline du Sud, habitué de la Conférence annuelle sur la sécurité de Munich depuis 1998, Lindsay Graham est un républicain aligné, depuis son premier mandat présidentiel, sur l’actuel locataire de la Maison Blanche. Et lorsqu’on l’interroge sur ce qu’il faut pour convaincre Trump de soutenir l’Ukraine, sa réponse est simple: «Il a besoin de quelque chose à vendre aux électeurs américains. Si j’étais vous, amis ukrainiens, je formaliserais au plus vite un accord sur l’exploitation des terres rares en Ukraine. La paix doit rapporter. Elle ne doit pas être vue comme une source de coûts et d’ennuis supplémentaires.»

Transformer la paix en appât. Faire de l’arrêt des combats le prélude à de futurs accords lucratifs pour les Etats-Unis. Et si c’était cela, le prix d’une négociation réussie et, surtout, le moyen de desserrer l’étau Trump-Poutine qui menace d’étrangler l’Ukraine à bout de forces? Le ministre polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski opine de la tête lorsqu’on le questionne. Oui, il faut trouver un levier. Lequel?

Trois arguments pour Trump

«Je dirai trois choses à Donald Trump s’il était là, avec nous, à cette Conférence de Munich, complète-t-il devant l’élite de la défense et de la sécurité du Vieux Continent. La première? Que vous le vouliez ou non, le drapeau américain est planté à Kiev. C’est votre crédibilité, celle de la première puissance mondiale qui est en jeu. Le second? L’Ukraine, c’est le test ultime pour la Chine vis-à-vis de Taïwan. Si Pékin voit que les Etats-Unis autorisent Moscou à récupérer ce qu’ils considèrent comme une province rebelle, la Chine fera de même avec Taïwan. Et là, vous aurez de sacrés ennuis. Troisième argument? Le prix Nobel de la paix se décide ici, en Europe. Il est attribué par des Européens.» A bon entendeur…

Retour à Lindsay Graham, le Sénateur américain allié fidèle de Trump. Lui avance un quatrième argument, parallèle à l’appel de Volodymyr Zelensky, lors de cette même Conférence sur la sécurité de Munich, pour une «armée européenne au sein de laquelle les forces ukrainiennes se retrouveraient incorporées». Graham sait que dans son Etat, la Caroline du Sud, le constructeur d’avions militaires Lockheed Martin possède plusieurs usines.

Il faut les faire tourner. «Faire de l’armée ukrainienne la plus puissante d’Europe, face à la Russie, est un levier crédible, complète-t-il. Donald Trump sera prêt à ouvrir une ligne de crédit à l’Ukraine si celle-ci procède à des achats massifs d’armes Made in USA. La paix, je le répète, doit être présentée comme une bonne opération pour les Etats-Unis.»

Images de la guerre

Les images de la guerre qui détruit chaque jour un peu plus l’Ukraine paraissent bien loin de Munich. Face au centre de presse de la conférence, sur Odeon Platz, les manifestants pro ukrainiens brandissent des slogans, pas des photos de victimes, de corps déchiquetés, de quartiers entiers aplatis sous les bombes. Un symbole des trois années de souffrance endurées par les 37 millions d’Ukrainiens depuis l’agression russe du 24 février 2022 trône pourtant au milieu de la place, entourée de bâtiments baroques: une ambulance militaire ramenée du front de Donetsk, à 2300 kilomètres de la capitale bavaroise.

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Maria est une réfugiée ukrainienne qui a trouvé l’asile à Munich avec ses deux enfants. Son mari, Grigor, est pilote de drones au sein d’une unité de l’armée ukrainienne baptisée «Predator». «En fait, l’Ukraine doit draguer Trump et accepter de coucher avec lui s’il le faut, s’énerve-t-elle. C’est ça, la traduction de la promesse qu’avait fait Joseph Biden de nous soutenir aussi longtemps que nécessaire?»

L’Arabie saoudite dans le viseur

Retour dans les couloirs de la Conférence de Munich. Une autre parlementaire américaine est interrogée. Jane Shaheen est sénatrice démocrate du New Hampshire. Elle aussi reconnaît qu’un «marchandage» est indispensable, même si cela peut sembler odieux alors que 43'000 soldats ukrainiens ont été tués depuis le début du conflit, et près de 400'000 autres blessés, selon les estimations. Pour elle, Donald Trump doit être conscient des conséquences de tout abandon de l’Ukraine lorsqu’il abordera sa rencontre annoncée – la date reste à fixer – avec Vladimir Poutine en Arabie saoudite.

«Il faut absolument que l’Ukraine et ses alliés européens fassent leurs calculs et avancent des chiffres convaincants. Ce ne sont pas des principes qui font infléchir Trump. Le combat du bien contre le mal, ce n’est pas du tout son affaire. Ce qu’il faut, c’est lui présenter un tableau de cette guerre, qu’il soit capable de le comprendre en lui rappelant sans cesse que s’il avait été là en février 2024, comme il le pense, le conflit n’aurait pas démarré.»

Draguer Trump. Coucher avec lui s’il le faut. Volodymyr Zelensky l’a compris. Le président ukrainien sait que deux poids lourds s’affrontent en ce moment sur le ring géopolitique du continent européen: la Russie et les États-Unis. Il sait qu’il est, lui, un poids léger, dépendant en plus cruellement de l’aide militaire américaine. Il doit donc bouger, déplacer les lignes, être toujours mobile. La flatterie est un registre auquel Trump est sensible. Faudra-t-il en passer par là? «Je suis de ceux qui croient que Poutine a peur de Trump. Et c’est une bonne chose, dont il faut se féliciter. Il faut le répéter», ajoute le sénateur Lindsay Graham.

La diplomatie n’est pas qu’une affaire de «donnant-donnant». Elle est aussi une affaire de ressenti. «Donald Trump doit à tout prix pouvoir présenter le futur accord de paix en Ukraine qu’il espère négocier avec Poutine comme un succès, complète la chroniqueuse vedette de CNN, Christiane Amanpour, qui a interrogé Volodymyr Zelensky sur la scène de Munich. La dimension personnelle, celle de l’ego, sera donc décisive. Il faudra aussi, ajoutent les experts consultés par Blick dans la capitale bavaroise, que cet accord traduise l’image que Trump adore: celle du «nouveau sheriff dans la ville» employée par son Secrétaire à la Défense Pete Hegseth, lors de la réunion des ministres l’OTAN (l’alliance atlantique) cette semaine à Bruxelles.

Baiser la babouche

Concrètement, ça veut dire quoi: «Vous pouvez traduire Sheriff par "parrain" se risque une diplomate. Trump veut qu’on lui baise la babouche, un peu comme un parrain de la mafia.» Il doit être reconnu comme le patron incontestable. C’est pour cela que l’Ukraine doit faire attention. Plus Kiev formera un axe de résistance avec les Européens, plus Trump va se cabrer. Mais en même temps, Zelensky doit lui tenir tête pour ne pas être complètement écarté.

Western ukrainien

Affreux à écrire, mais à ce stade, l’Ukraine ressemble un peu à un western qui défilerait sur grand écran dans la somptueuse résidence de Donald Trump à Mar-a-Lago. Au bout de la rue principale, un Vladimir Poutine qui avance, sa carabine en bandoulière et son colt chargé, impossible à désarmer. Alors? «Poutine sait que l’armement de Trump est bien plus conséquent. C’est pour cela qu’une attaque d’un pays de l’OTAN par la Russie est pour l’heure hors de question» se risque le ministre polonais Sikorski.

Conclusion de ce dernier: «La diplomatie de Trump n’en est pas une. Il opère comme s’il était à la tête d’une patrouille de reconnaissance à proximité du champ de bataille. Il ne fait d’ailleurs confiance qu’à quelques hommes à lui, des conseillers personnels. Il s’avance et il juge les réactions. Il change de trajectoire en fonction des obstacles». Et des tentations?

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