Sept ans de prison requis
Procès Sarkozy: les racines suisses du pacte de corruption «inouï et indécent»

Avant de requérir 7 ans de prison et 300'000 euros d'amende contre Nicolas Sarkozy, accusé d'être le commanditaire d'un «pacte de corruption», le Parquet national financier a démontré qu'une partie de l'argent passait par la Suisse. Blick était au tribunal.
Publié: 27.03.2025 à 21:46 heures
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Dernière mise à jour: 27.03.2025 à 22:00 heures
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Nicolas Sarkozy a dénoncé le réquisitoire et la peine réclamée contre lui de sept années de prison.
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Richard WerlyJournaliste Blick

«Pacte de corruption»: le terme sonne comme une guillotine. Un couperet judiciaire que le Parquet national financier français (PNF) a plusieurs fois manié devant nous, ce jeudi 27 mars, pour le dernier volet de son long réquisitoire contre Nicolas Sarkozy et les douze-autres coaccusés dans le procès de l’argent libyen suspecté d’avoir financé la campagne victorieuse de 2007 de l’ancien Président. Les plaidoiries de la défense démarreront semaine prochaine.

Au final? Une peine en forme d’exécution réclamée pour l’ex-chef de l’État, porteur d’un bracelet électronique depuis qu’il a été définitivement condamné (déjà pour corruption) le 18 décembre, dans l’affaire dite des «écoutes téléphoniques», pour laquelle il vient de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

Sept ans de prison, Sarkozy dépité

Sept ans de prison et 300'000 euros d’amende à l’issue du réquisitoire! Une peine assommoir justifiée par le procureur en raison du caractère «inconcevable, inouï, indécent» du supposé pacte de corruption noué avec le défunt dictateur Mouammar Kadhafi, tué par les rebelles libyens le 20 octobre 2011.

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Le plus intéressant, vu de Suisse, est toutefois l’implacable démonstration des circuits financiers effectuée par le Parquet, avec projection de schémas sur écran, et parcours fléché de l’argent libyen. Nicolas Sarkozy n’était pas présent à l’audience, le matin de ce jeudi 27 mars, lorsque sont apparus les rouages des comptes utilisés, de la Libye jusqu’à Genève en passant par la Malaisie et le Moyen-Orient, pour finir selon l’accusation sous forme de liasses d’espèces dans les mains de Claude Guéant, l’ancien ministre de l’Intérieur et bras droit de l’ex-président.

Genève, transit pour l’argent libyen

Deux autres noms, bien connus sur les bords du Léman, sont alors plusieurs fois revenus dans le réquisitoire du PNF: ceux de l’homme d’affaires et entremetteur Alexandre Djouhri, et celui du banquier Wahib Nacer, qui officiait à l’époque au sein de la filiale helvétique du Crédit Agricole. Djouhri-Nacer: ce tandem a constitué, selon le Parquet national financier, le rouage suisse de ce «pacte de corruption» qui remontait en France au sommet de l’État.

Au premier, ancien résident de Chêne-Bougeries (GE), le rôle «d’agent corrupteur». C’est par lui et par un autre intermédiaire libanais, Ziad Takieddine (absent du procès) qu’a transité une partie de l’argent libyen. Les noms des deux hommes sont, sur l’écran déployé dans la salle d’audience, accolés aux millions d’euros présumés versée en 2005 et 2006 par deux proches de Mouammar Kadhafi: Choukri Ghanem (décédé mystérieusement en 2012 à Vienne, victime d’une crise cardiaque puis noyé dans le Danube) et Bechir Saleh.

Wahib Nacer et le Crédit agricole suisse

Au second, Wahib Nacer, présent dans la salle ce jeudi, le rôle présumé d’intendant de ce pacte de corruption. C’est à lui, selon le Parquet national financier, que revenait en partie le rôle d’ouvrir des sociétés écrans à Panama, pour récupérer ensuite l’argent et camoufler sa provenance. La Suisse de ces années-là, rappelons-le, était encore celle du secret bancaire.

Wahib Nacer, octogénaire discrètement assis devant les juges au tribunal de Paris, d’une extrême courtoisie, est issu d’une grande famille de Djibouti. Les clients dont il place les fonds à Genève sont à l’époque pour la plupart originaire d’Afrique ou du Moyen-Orient.

Parfait banquier helvète

Contrairement à Alexandre Djouhri qui dispose, à l’époque, d’un quasi-droit d’entrée permanent au palais présidentiel de l’Elysée sous Nicolas Sarkozy, Wahib Nacer ressemble, dans le tableau brossé par l’accusation, au parfait banquier suisse. Discret. Disponible. Sa compétence? Proposer à la demande les structures juridiques adéquates pour camoufler les fonds qui, d’après le PNF, servirent ensuite à Alexandre Djouhri pour acquérir une somptueuse villa à Mougins, sur la Côte d'Azur, ou à Claude Guéant pour acquérir un appartement dans les beaux quartiers parisiens.

L’affaire des fonds libyens, révélée en 2012 par Mediapart, est d’abord vécue, en France, comme un nouvel épisode de la descente aux enfers de Nicolas Sarkozy, même si celui-ci s’est à nouveau dit «prêt à se battre», malgré sa mine pétrifiée devant les juges.

Une République très sombre

«C’est un tableau très sombre d’une partie de notre République qui s’est dessiné», a lancé le procureur Sébastien de La Touanne à propos de l’ex-président, dénonçant sa «quête effrénée de financement» pour satisfaire une «ambition politique dévorante». L’ancien patron de la droite française était, selon le PNF, le véritable «décisionnaire» et «commanditaire» d’un pacte de corruption «inconcevable, inouï, indécent», noué avec l’ex-dictateur libyen Mouammar Kadhafi, avec force «contreparties» diplomatiques, juridiques et économiques.

Son versant helvétique, en partie dévoilé par l’accusation, démontre en revanche comment les circuits de financement destinés à la France s’enracinaient à Genève, jusqu’à l’abandon officiel par la Confédération du secret bancaire, le 13 mars 2009. Les notes manuscrites du banquier Nacer, découvertes lors de la perquisition de son domicile, sont comme les cailloux posés sur la route de cette opération de financement illicite dont le tribunal devra dire, ou non, si elle a bien servi à financer la campagne présidentielle de Sarko en 2007.

Le chemin de l’argent

Wahib Nacer «est le chemin qui suivait l’argent. Il ne s’agit pas d’une construction intellectuelle» a asséné le procureur. «Il avait la responsabilité des flux financiers, une responsabilité matérielle pas contestée dans la mise sur pied d’un système organisé de compensation pour dissimuler des opérations illicites au milieu d’opérations licites.»

Au bout de ce labyrinthe financier en partie helvétique? Le Ministère public a demandé que Nicolas Sarkozy soit reconnu coupable de «corruption», «recel et détournements de fonds publics», «financement illégal de campagne» et «association de malfaiteurs». Pour Alexandre Djouhri? Cinq ans de prison et quatre millions d’euros d’amende. Idem pour l’ex-banquier genevois Wahib Nacer. Six ans de prison et 100'000 euros d’amende ont par ailleurs été requis contre Claude Guéant. Et trois ans de prison contre Brice Hortefeux, un autre ancien ministre très proche de Nicolas Sarkozy.

La fin du procès est prévue le 10 avril.

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