«Sauver l’âme de l’Espagne.» Pour Santiago Abascal, 47 ans, le combat politique de ce dimanche 23 juillet se résume à ces mots. Leader du parti d’extrême droite Vox, crédité dans les sondages d’environ 15% des suffrages, mais capable selon les experts de réussir une percée bien plus forte, cet héritier d’une famille franquiste revendiquée tape, à chacun de ses meetings, sur les mêmes clous. Pas question de laisser son «grand pays catholique» aux mains du «lobby LGBT», des immigrés et des indépendantistes basques ou catalans.
Et ça marche: si les études d’opinion se confirment, Vox, ce parti fondé il y a pile dix ans, sera incontournable pour former une majorité parlementaire de droite et renverser le premier ministre socialiste sortant Pedro Sanchez. Le Parti populaire (PP, droite traditionnelle), crédité lui d’un tiers de suffrages, aura besoin des élus de l’extrême droite pour reprendre le pouvoir.
Retrouvez le débat Sanchez-Feijoo
Un parti? «C’est d’abord un courant d’opinion, de plus en plus fort dans le pays», note une ancienne ministre espagnole. «Vox, c’est la revanche de l’Espagne macho, centraliste, catholique et à gros cigares.» Avec, en ligne de mire, un ennemi déclaré: le «sanchismo». Dérivé du nom de l’actuel chef du gouvernement, ce néologisme scandé par les partisans de Vox désigne, grosso modo, le laisser-aller ambiant qui, selon eux, menace les fondements de la société espagnole.
Trop de droits et d’espace médiatique concédés aux communautés LGBT. Trop de concessions aux «traîtres à la nation espagnole» de Bilbao, San Sebastian (Pays basque) et Barcelone (Catalogne). Trop d’étrangers. Trop d’accostages de bateaux remplis de clandestins, comme celui arrivé le 20 juin à Lanzarote (Canaries) avec cinquante migrants à bord, dont une femme enceinte décédée durant la traversée. Vox se voit comme un rempart. «Les socialistes veulent en finir avec nos traditions et notre passé. Nous, nous en sommes fiers» a répété Santiago Abascal le 10 juillet, alors que Pedro Sanchez et son adversaire du PP, Alberto Nunez Feijoo, s’affrontaient lors d’un ultime débat télévisé.
Un vent en poupe venu d’Italie
Vox a, surtout, un vent en poupe venu d’Italie. Arrivé en tête des législatives italiennes du 25 septembre 2022, le parti néofasciste Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni a, depuis, réussi à s’imposer sans coup férir. Mieux: la présidente du conseil italien, nostalgique revendiquée de l’ère Mussolini, démontre un peu plus chaque jour que le passé hier tabou ne l’est plus du tout. En Italie, la mémorabilia fasciste est redevenue à la mode alors que le «Duce», allié du Troisième Reich Nazi, fut tout de même associé aux pires atrocités de la seconde guerre mondiale. Pourquoi, dès lors, ne pas réhabiliter le Général Francisco Franco qui régna sur l’Espagne de 1939 à 1975?
«Santiago Abascal est le chef de ce parti d’extrême droite resté longtemps insignifiant dans le paysage électoral jusqu’en 2019, année d’élections générales où Vox a remporté plus de 10% des voix. Puis, il a accédé l’année dernière à la vice-présidence de la région Castille-et-León, dans le centre de l’Espagne» explique un podcast de France Culture. Et d’ajouter «Nationaliste, europhobe et anti-immigration, Vox entretient aussi un rapport ambigu à la période de la dictature de Francisco Franco et à la guerre civile, de 1936 à 1939, qui fit 540'000 morts. Alors que les socialistes sont très actifs sur les questions de mémoire depuis leur retour au pouvoir en 2018, les dirigeants de Vox se font régulièrement remarquer par leurs déclarations qui minimisent les crimes du franquisme».
Mémoire et fierté nationale
Mémoire, fidélité à la monarchie et fierté nationale. La famille de Santiago Abascal en est le résumé. Son grand-père était le maire franquiste de la ville d’Amurrio, au Pays basque. Lui-même a pris la tête d’une croisade pour réhabiliter l’ancien mausolée du Valle de Los Caidos (la vallée de ceux qui sont tombés). C'est là où reposait la dépouille de Franco près de Madrid, jusqu’à son transfert en 2019 vers un cimetière et la transformation du lieu en sépulture pour les victimes des deux camps de la guerre civile de 1936-39. Vox propose d’ailleurs l’abrogation de l’unique loi de la mémoire historique (Ley de Memoria Histórica) reconnaissant les victimes de la guerre civile et de la dictature.
Les vieux tropismes espagnols
Mais le moteur de Vox est d’abord sociétal. «Ce parti reprend les vieux tropismes du nationalisme espagnol, notamment l’unité de l’Espagne et sa projection néo-impérialiste», analyse une étude française de la Fondation Jean Jaurès. «Représentants d’un libéral conservatisme virulent, le programme de Vox combine le néolibéralisme et la mise en place d’un État minimal avec une défense de la famille traditionnelle, dernier rempart de la civilisation chrétienne. Cette idéologie existante de longue date en Espagne est remise à jour et s’ajuste aux nouveaux phénomènes d’extrême droite illibérale, tels ceux de la Hongrie et du conservatisme républicain aux États-Unis.»
Le reste? Une plate-forme résolument réactionnaire de «100 mesures pour une Espagne vivante». Coté immigration: la proposition d’un «mur infranchissable» autour des enclaves de Ceuta et Mellila au Maroc, l’expulsion des clandestins, l’interdiction à vie de leur régularisation. Coté sociétal: l’abrogation du mariage homosexuel, du droit à l’avortement et des principales dispositions légales spécifiquement favorables aux femmes. Avec deux slogans qui ont marché très fort en Italie: «Non au lobby LGBT, oui à la famille traditionnelle» et «Je suis une femme, je suis une mère, je suis chrétienne et vous ne pouvez pas me l’enlever!»