Jane Birkin aimait la France. C’est aussi simple que cela, mais il faut le répéter alors qu’elle vient de disparaître, et alors que le pays en peine, bute sans cesse sur de nouvelles convulsions sociales.
La France de l’actrice et chanteuse britannique, arrivée à Paris à la fin des années soixante après ses débuts dans le cinéma à Londres, n’était pas celle que des séries télévisées à succès, comme «Emily in Paris», vantent à longueur d’épisode. Il y avait à la fois de la rébellion, de la révolte et de la prospérité dans cette République surplombée par la silhouette paternaliste et sévère du Général de Gaulle. Jane Birkin incarnait, à sa manière devant ce commandeur tout droit sortie de la seconde guerre mondiale, l’envie d’une nouvelle France libre.
Jane Birkin en concert
Impossible, bien sûr, de délier la passion suscitée par la chanteuse à l’accent londonien si savoureux, de celui qui fit d’elle un personnage public: Serge Gainsbourg, décédé à 61 ans en mars 1991. Apprendre la disparition de Jane Birkin, un dimanche de juillet, oblige d’ailleurs à se poser cette question simple: comment Gainsbourg le révolté, l’homme qui brûlait les billets de 500 francs sur les plateaux de TV, fumait à la chaîne et composait des refrains que nous gardons tous en tête, aurait vécu la France de 2023? Qui se souvient du tollé suscité, en 1979, sur un air de reggae importé de Jamaïque, par l’album «Aux armes et Caetera»? Gainsbourg formait alors avec Birkin l’équivalent français du couple John Lennon-Yoko Ono. La révolte semblait être dans leur ADN.
Ecoutez «Je t’aime moi non plus»
De l’hymne national français, sorti tout droit de la révolution de 1789, Gainsbourg avait sciemment retenu ce couplet: «Nous entrerons dans la carrière/
Quand nos aînés n’y seront plus/Nous y trouverons leur poussière/
Et la trace de leurs vertus». Loin, très loin des paroles de «Je t’aime moi non plus» signées en février 1969, dont Jane Birkin restera à jamais le visage même si la chanson fut initialement composée pour l'actrice Brigitte Bardot: «Oh, mon amour/Comme la vague irrésolue/Je vais, je vais et je viens/Entre tes reins».
Une République qui fait envie
La France de Jane Birkin n'était pas celle, fantasmée, d'Amélie Poulain. Sa France était une République désordonnée, parfois déroutante, mais qui fait envie, qui émancipe, qui provoque, qui charme et qui vous transforme. Elle n’était pas cette société de castes et de classes que n’a jamais cessé d’être le Royaume-Uni. Elle n’était pas non ce volcan en éruption, noirs contre blancs, qu’étaient les États-Unis de la lutte des droits civiques. La France de Birkin était celle de mai 1968. Celle qui prétend vous libérer en affirmant: «Il est interdit d’interdire», «Sous les pavés la plage», ou «Jouissez sans entraves». Pas étonnant que cette fille d’un commandant de la Royal Navy se soit éprise à ce point de ce pays où le désir d’aimer et de se faire aimer n’est jamais loin de l’envie de tout renverser.
«Je t'aime moi non plus», version Brigitte Bardot
Une France qui ose penser différemment
Surtout, Jane Birkin n’a jamais cessé d’aimer cette France, malgré les transformations qui s’ensuivirent. Tout comme elle n’avait jamais rompu, au fond, avec Gainsbourg et la passion qui les unissait. Il y avait en elle ce goût d’une France à la fois provocatrice, charnelle, sensuelle et libératrice. Une France qui ose penser différemment, fait la nique aux Anglo-Saxons et affirme que l’on peut s’affranchir des normes dès lors qu’on le fait avec bonheur, envie et joie de vivre.
Telle était la France de Jane Birkin: une France joyeuse, érotique, un tantinet libertine, audacieuse et amoureuse. Exactement ce qui manque aujourd’hui, en 2023, pour recréer ce qui fit d’elle une icône: une passion terriblement française.