Donald Trump deviendrait-il un modèle pour l’Union européenne? Officiellement, non. La construction ou la consolidation, sur ordre de l’ancien président américain, d’un mur anti-migrants de près de 700 kilomètres à la frontière sud des États-Unis reste au contraire toujours considérée par une majorité de dirigeants européens comme un non-sens, un gouffre à milliards de dollars et une infamie humanitaire.
Mais derrière ces déclarations officielles, le ton du débat a radicalement changé dans l’enceinte du Conseil européen, l’instance qui réunit les chefs d’État ou de gouvernement des 27 pays membres de l’Union. Jeudi 9 février, la partie de leur sommet consacrée aux migrations a été dominée par le renforcement des «barrières» pour protéger l’espace Schengen (dont fait partie la Suisse). Barrières ou murs? La différence entre les deux devient de plus en plus mince.
Les conclusions sont un éloge des barrières
Il suffit, pour s’en convaincre, de lire attentivement les conclusions du sommet rendues publiques au milieu de la nuit, à l’issue de plus de douze heures de débat entre dirigeants, consacrées à l’Ukraine, à la riposte européenne face au protectionnisme américain et à la politique migratoire commune. Les mots sont pesés et calibrés. Mais ils vont se traduire à coup sûr, dans les pays de premier accueil, par des barbelés, des miradors et peut-être des murs en bonne et due forme.
Les 27 invitent en effet la Commission européenne «à financer les mesures prises par les États membres qui contribuent directement au contrôle des frontières extérieures de l’UE, telles que les projets pilotes de gestion des frontières, ainsi qu’à l’amélioration du contrôle des frontières dans les pays clés sur les routes de transit vers l’Union européenne.» Mieux: la Commission est priée «de mobiliser immédiatement d’importants fonds et moyens de l’UE pour aider les États membres à renforcer les capacités et les infrastructures de protection des frontières, les moyens de surveillance, y compris la surveillance aérienne, et les équipements.»
Vous me suivez? La réalité est que les 1500 kilomètres de frontières extérieures de l’espace Schengen déjà surmontés d’une forme de mur (en Hongrie face à la Serbie, en Pologne face à la Biélorussie) ne sont plus diabolisés à Bruxelles. Ils sont au contraire devenus des modèles.
Le quotidien en ligne Politico, influent dans la capitale européenne, ne s’y est d’ailleurs pas trompé: «L’Union européenne, qui a longtemps considéré les murs frontaliers comme une solution rudimentaire à la Trump, s’engage à consacrer des fonds substantiels» aux gardes-frontières et aux équipements de surveillance des frontières, alors que les pays multiplient les demandes d’aide pour payer leurs clôtures frontalières, estime-t-il au lendemain du sommet. «Jusqu’aux premières heures de la matinée de vendredi, les dirigeants européens ont présenté proposition sur proposition, visant toutes à endiguer l’augmentation du nombre de personnes arrivant sur le continent en dehors des circuits légaux. Certains souhaitent que Bruxelles participe au financement des clôtures frontalières.»
Une UE transformée en forteresse?
Des murs «à la Trump» autour de l’Union européenne transformée en forteresse? Nous n’en sommes pas là. Le Chancelier allemand, Olaf Scholz, a d’ailleurs pris la parole à Bruxelles, chiffres à l’appui, pour démontrer que le mur qui sépare en partie les États-Unis du Mexique (coût estimé: 17 milliards de dollars) n’a pas ralenti les arrivées clandestines. Soit. Mais à partir de quel moment la surveillance électronique, les patrouilles armées des gardes de l’agence Frontex (dont les Suisses ont, par référendum en mai 2022, accepté de financer une plus grande part), et les barrières temporaires maintenues sur place durant des mois ne sont-elles pas des murs «de facto»?
«Les clôtures frontalières étaient autrefois un anathème dans une grande partie de l’Europe, où elles étaient considérées comme un instrument contondant destiné à être montré plutôt qu’à être utilisé, complète Politico. Mais une coalition croissante de pays de l’UE a construit de telles barrières, et certains souhaitent que Bruxelles contribue à en financer davantage.»
Viktor Orban n’est plus le seul partisan des «murs»
Cette coalition n’est pas conduite, comme on pourrait le croire, par Viktor Orban. La barrière de grillage de 3,50 mètres de haut et de 175 kilomètres de long que le Premier ministre hongrois a fait ériger à la frontière avec la Serbie en 2015 est aujourd’hui presque oubliée, bref, admise par ses pairs.
Deux autres dirigeants européens sont en pointe sur le sujet des «murs», ou des structures supposées les remplacer sur terre comme en mer: l’Italienne Giorgia Meloni et le Grec Kyriakos Mitsotakis. Tous deux exigent le renforcement des patrouilles frontalières maritimes par les garde-côtes et l’arrêt immédiat des subventions aux ONG de sauvetage des migrants en mer. Lesquelles bénéficient de subsides de l’Allemagne et des pays du nord de l’Europe.
Le Premier ministre grec est pour sa part engagé dans la construction d’un mur le long de la rivière Evros, qui sépare la Thrace de la Turquie. «Cette clôture, dont une partie a déjà été construite, continuera à être construite et sera achevée, a-t-il répété à Bruxelles. L’Europe doit cesser cette absurdité européenne qui consiste à ne pas le financer, alors que nous protégeons l’espace Schengen.» L’Autriche a pris la tête du peloton pour réclamer plus de ressources frontalières de la part de Bruxelles.
L’Autriche, en tête des pays pro-murs anti-migrants
Fait nouveau lors de ce sommet: l’Autriche est aujourd’hui l’un des plus ardents supporters de ces barrières anti-migrants, en particulier pour sceller la frontière entre la Bulgarie et la Turquie. Le pays connaît depuis plusieurs mois une augmentation du nombre de migrants arrivant par les Balkans occidentaux, passant souvent de la Serbie à la Hongrie. Une route des migrations qui démontre que les murs peuvent toujours être contournés. D’où l’autre sujet majeur discuté au sommet européen, sans accord formel toutefois: la nécessité de lier les aides au développement à l’acceptation par les pays concernés des rapatriements de clandestins sur leur territoire.
«Nous ne pouvons plus continuer à dépenser des milliards en aides et nous entendre dire par les gouvernements qu’ils refusent de laisser atterrir les avions avec des clandestins expulsés à bord», a redit, à l’issue du sommet européen, le président français, Emmanuel Macron.