Pour rendre visite à l’ambassadeur de Joe Biden à Berne, il faut d’abord se soumettre à un contrôle de sécurité, comme à l’aéroport. À l’ambassade des États-Unis, les ordinateurs portables ne sont pas autorisés. La photographe de Blick ne peut entrer avec son matériel qu’après s’être annoncée.
Scott Miller s’en excuse. «Je préfère rencontrer les journalistes là où je suis en déplacement», explique-t-il. Et en déplacement, le représentant de Joe Biden l’est beaucoup. «Je vois la diplomatie comme un sport de contact», s’amuse le nouveau représentant des États-Unis à Berne, qui se définit comme extraverti.
Blick: Lorsque Joe Biden vous a appelé pour vous demander si vous vouliez devenir son ambassadeur américain en Suisse, avez-vous hésité?
Scott Miller: Je voulais quand même poser la question à Tim, mon mari, car un tel déménagement est une affaire de famille. Mais il s’est tout de suite exclamé: «J’espère que tu as accepté!» La décision n’a donc pas pris beaucoup de temps.
En dehors de votre carrière de management chez UBS à Denver, avez-vous, vous et votre mari, d’autres liens avec la Suisse?
Bien sûr! Nous sommes tous les deux venus ici à plusieurs reprises. Mon mari a fondé une entreprise de logiciels, connue notamment pour son programme graphique QuarkXPress. Une partie de leurs affaires européennes ont été réalisées depuis la Suisse. Et j’aime voir à quel point les États-Unis et la Suisse se ressemblent et combien ils sont liés par l’histoire.
En arrivant à Berne, avez-vous commencé par défaire beaucoup de choses mises en place par votre prédécesseur Ed McMullen, le représentant de Trump?
En tant qu’ambassadeur, je représente le gouvernement actuel. Les valeurs et les objectifs diffèrent d’un gouvernement à l’autre. La Suisse et les États-Unis ont une relation forte, et je tiens à rendre hommage à tous mes prédécesseurs pour cela. Je ne pense pas que quiconque ait fait quoi que ce soit qui puisse nuire à cette relation. Et mon but est de la renforcer encore davantage.
On dit que la Suisse n’est pas une priorité pour l’administration de Joe Biden et qu’il n’y a pas eu de visites significatives comme celle d’Ueli Maurer à la Maison Blanche.
Je ne suis pas d’accord. Sur le plan économique, nous sommes étroitement liés: le volume des échanges entre les deux pays a atteint les 155 milliards l’année dernière. Les 300 milliards investis par les entreprises suisses aux États-Unis et le demi-million d’emplois qu’elles créent dans notre pays témoignent également de cette forte relation. Ce qui compte bien plus que la question de savoir qui rend visite à qui et quand. L’une des toutes premières destinations du président Biden après son élection a été Genève, où il s’était rendu pour s’entretenir avec le président Poutine. Et la première dame Jill Biden, ne cesse de parler de sa visite en 2014 dans des entreprises d’enseignement suisses. Et ce, même lorsque nous avons roulé dans des champs de maïs de l’Iowa pendant la campagne électorale.
Mais ça n’a pas sauvé l’accord de libre-échange.
Je ne pense pas qu’il soit enterré. La Suisse a déclaré qu’elle ne pouvait pas nous donner accès au marché agricole. En attendant d’avancer dans ce domaine, nous parlons d’accords sectoriels spécifiques, comme, par exemple, ceux dans l’industrie pharmaceutique. Nous travaillons actuellement sur un accord qui faciliterait l’autorisation de la FDA (Food and Drug Administration, l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, ndlr) pour les produits pharmaceutiques suisses.
En tant qu’ancien entrepreneur, il vous est certainement facile d’entretenir des relations économiques. La livraison d’urgence de lait pour bébé en provenance de Suisse est-elle de votre fait?
Oui, j’en suis très fier! Un mercredi, j’ai rencontré le CEO de Nestlé. Dès le samedi suivant, près d’un million et demi de biberons ont été livrés, ainsi que des aliments spéciaux pour les enfants en bas âge souffrant d’allergies et pour les prématurés, qui étaient particulièrement rares aux États-Unis. Ces produits ont immédiatement atténué les pénuries aux États-Unis, c’était un vrai un moment de joie. L’avantage d’une telle collaboration avec Nestlé est aussi qu’ils disposent déjà d’une bonne logistique aux États-Unis. Le produit a donc pu atteindre rapidement les familles dans le besoin. Pour les semaines à venir, Nestlé nous a déjà promis d’autres tonnes d’aliments pour bébés.
La pénurie d’aliments pour nourrissons ne va donc pas se résoudre rapidement?
L’usine du Michigan reprendra ses activités dès que possible, mais nous devrons encore faire face à des pénuries pendant quelques mois. Il ne faut plus jamais qu’un tel événement se produise. Cela a dû être terriblement stressant pour les parents. Je suis heureux d’avoir pu aider depuis Berne.
La Suisse aimerait travailler sur la coopération militaire avec les États-Unis. Sous quelle forme selon vous, et qu’en retireraient les États-Unis?
En principe, nous pouvons aider à l’acquisition de matériel militaire. Pour le reste, la règle est la suivante: nous collaborons volontiers avec la Suisse si elle nous le demande. Mais, en fin de compte, cela dépend entièrement du gouvernement suisse et des Suisses.
Depuis le 24 février, le regard sur les questions de sécurité a radicalement changé à l’échelle européenne. La Suède et la Finlande veulent rejoindre l’OTAN. La Suisse devrait-elle en faire autant?
C’est aux Suisses d’en décider. L’une des raisons de l’existence de l’OTAN est que personne n’a été mis sous pression pour y adhérer. C’est à chaque pays de décider comment il veut protéger sa souveraineté et son intégrité territoriale, ainsi que des alliances qu’il veut conclure.
Trouveriez-vous judicieux que la Suisse adhère à l’OTAN?
Je ne veux pas influencer une décision qui doit être prise par le peuple et le gouvernement suisses. Je suis ici pour faciliter toutes les discussions dont ils pourraient avoir besoin à cet effet. Indépendamment de cela, la coopération en matière militaire et de défense de l’Europe est très bonne.
Malgré cela, la Suisse a refusé à plusieurs reprises de libérer des munitions initialement produites sur son territoire pour venir en aide à l’Ukraine.
En raison de sa position neutre, la Suisse doit évidemment être très prudente lorsqu’il s’agit de respecter ses règles et ses lois. Et c’est en fin de compte à chaque pays de décider quelles règles s’appliquent aux exportations d’armes. Comme pour les États-Unis. Mais nous sommes fiers d’avoir été en mesure d’aider l’Ukraine à défendre son intégrité territoriale et sa souveraineté.
La Suisse s’est pourtant fait élire au Conseil de sécurité de l’ONU malgré sa neutralité au début du mois de juin.
C’est différent. Le Conseil de sécurité ne voterait jamais sur le contrôle des exportations de matériel de défense. Je me réjouis que la Suisse soit présente. Elle est prête pour ce moment et sera un grand atout.
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Comment imaginez-vous le rôle de la Suisse au Conseil de sécurité?
La Suisse pourra faire ce qu’elle fait le mieux: convoquer et modérer des discussions difficiles. Sa perspective sera d’une valeur inestimable. En ce qui concerne l’Ukraine, mais aussi au vu des problèmes humanitaires persistants qui existent dans le monde entier.
Les États-Unis semblent se montrer publiquement très satisfaits de la Suisse ces dernières semaines en ce qui concerne l’Ukraine. Mais en ce qui concerne les sanctions, le célèbre militant anti-corruption Bill Browder a récemment déclaré: «Les États-Unis se demandent pourquoi si peu d’argent a été saisi.»
Je soutiens le souhait de Bill Browder et ses possibilités de faire pression. Mais personnellement, je trouve que la Suisse a introduit des sanctions très rapidement, et de manière globale. En tant qu’ancien banquier, je sais qu’un train de sanctions de cette taille et de cette ampleur met du temps à être appliqué dans son intégralité. On ne dispose pas en permanence d’une centaine de personnes qui attendent avec un plan et des processus de mise en œuvre que les sanctions soient adoptées.
La Suisse ne pouvait donc pas faire mieux?
Les avoirs russes sont toujours cachés dans des fiduciaires, des sociétés boîtes aux lettres ou des entreprises tierces. J’espère que la Suisse rejoindra bientôt la taskforce internationale sur les sanctions Repo (Russian Elites, Proxies, and Oligarchs). Nous pourrons alors la faire participer à l’échange de renseignements. Ce qui est extrêmement important pour mettre au jour les structures de ces fonds cachés. Car la dissimulation à grande échelle a commencé en 2014 déjà, lorsque la Douma russe a adopté une loi interdisant aux fonctionnaires gouvernementaux de posséder des avoirs étrangers.
Au début du mois de juillet, la grande conférence pour la reconstruction de l’Ukraine aura lieu à Lugano. Joe Biden n'y sera pas. Pourquoi?
Nous attendons une délégation américaine dirigée par le vice-secrétaire d’État adjoint Brian McKeon, le responsable de l’administration et des ressources. Tant le président que sa vice-présidente ont déjà d’autres obligations à ce moment-là.
Est-ce plus important que le cas de l’Ukraine?
La conférence de Lugano est importante et arrive à point nommé. Nous espérons que nous pourrons trouver un moyen de reconstruire l’Ukraine et d’aider le pays à se remettre d’une guerre qui doit se terminer le plus rapidement possible.
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Comment la reconstruction peut-elle se faire en pleine guerre?
Le plan Marshall, qui a soutenu la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale, a été conçu deux ans avant la fin de la guerre. C’est exactement ce qui est prévu: nous voulons jeter les bases d’un plan qui garantira que l’Ukraine pourra se reconstruire sur le plan social, politique et économique. La conférence portera également sur les besoins humanitaires actuels de l’Ukraine. Et, bien sûr, sur la situation alimentaire et la capacité de l’Ukraine à exporter toutes les céréales qui sont stratégiquement bloquées par la Russie.
Quelques jours plus tôt, un autre événement important se produira en Suisse. À partir du 1er juillet, les couples homosexuels pourront se marier. Vous ferez la fête?
Oui! Nous avons de toute façon avancé la célébration de l’Independence Day à l’ambassade à ce jour, et je pense que je parlerai du mariage pour tous dans mon discours.
Auriez-vous déménagé dans notre pays avec votre mari si les électeurs avaient rejeté ce projet l’année dernière?
Je n’aime pas les «Et si». Il y a 20 ans, lorsque j’ai emménagé avec mon mari, je n’avais pas encore le droit de l’épouser. Je suis heureux de savoir que, dès ce jour-là, mon mariage sera le même que celui de tous les autres Suisses. Ce jour sera important pour de nombreux couples homosexuels ici. Le gouvernement reconnaîtra que l’on possède les mêmes droits et prestations que tous les autres, ce qui a quelque chose d’extrêmement gratifiant et significatif. Je suis vraiment fier de la Suisse. Parfois, elle peut prendre un peu plus de temps: mais au final, elle fait ce qu’il faut.