Tension en coulisses du Conseil de sécurité
Cassis introduit un système de feux tricolores pour contrôler ses diplomates

Le président de la Confédération, Ignazio Cassis, a développé un système de classification pour réguler les échanges entre les émissaires suisses au Conseil de sécurité de l'ONU et le Parlement. L'appréhension monte du côté des équipes qui devront travailler à New York.
Publié: 14.06.2022 à 06:06 heures
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Dernière mise à jour: 14.06.2022 à 07:02 heures
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Ignazio Cassis (en bas) le 9 juin à New York lors de l'admission de la Suisse au Conseil de sécurité de l'ONU.
Photo: KEYSTONE/ALESSANDRO DELLA VALLE
Reza Rafi

Ignazio Cassis a obtenu gain de cause. Jeudi, les Nations Unies ont donné leur feu vert à l’adhésion de la Suisse au Conseil de sécurité de l’ONU. Après le sommet Biden-Poutine à Genève, le ministre des Affaires étrangères peut se réjouir de ce nouveau succès politique. Ce dernier permet d’occulter, pour un temps, les critiques permanentes à son encontre en provenance de tous les bords politiques.

Alors que les partisans de cette adhésion jubilent, une certaine nervosité règne en coulisses. Pour les diplomates suisses, cela annonce une incursion en terrain inconnu lorsqu’ils siégeront pour deux ans au sein du puissant organe, à partir du 1er janvier 2023. Les hommes d'Ignazio Cassis se sont récemment entretenus avec des collègues d’États tels que l’Irlande et la Norvège pour connaître leur expérience au sein de l’institution.

Deux représentants suisses du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) ont mentionné aux équipes du SonntagsBlick qu’ils risquent de rencontrer deux obstacles majeurs. En premier lieu, les pressions politiques.

Gare aux pays qui ont un droit de veto

À leur arrivée, la délégation suisse devra probablement se défendre contre les influences massives d’autres membres du Conseil de sécurité. Parmi les cinq puissances disposant d’un droit de veto au sein de l’organe, ce ne sont apparemment pas la Chine ni la Russie qui risquent de poser le plus problème, mais les trois like-minded states (en français, les États qui partagent les mêmes idées). Soit les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France.

Ce qui est sûr, c’est que la cheffe de mission, Pascale Baeriswyl, et son équipe de 25 personnes seront constamment obligées de prendre position. Le Conseil de sécurité tient environ 800 réunions par an sous les yeux du monde entier – deux à trois par jour – dont 150 dans sa grande salle en fer à cheval. Les choses sérieuses commencent lorsque les résolutions sont votées, ce qui arrive entre 50 et 70 fois par an. Il s’agit de décisions contraignantes en droit international, qui déclenchent toujours des protestations.

L’autre grand défi résidera dans la relation entre les émissaires à New York et leur gouvernement. Le DFAE sait que les Norvégiens ont agi de manière très autonome et n’ont dû régler une divergence que dans de très rares cas.

Les positions de la Suisse sont déjà connues

Ignazio Cassis, en revanche, semble vouloir jouer la carte de la sécurité avec sa secrétaire d’État et ses collaborateurs: son administration a mis au point un système de feux de signalisation qui doit permettre de régler simplement la collaboration.

Le niveau vert concerne les décisions de nature fondamentale qui ne posent pas de problème et que la délégation peut prendre elle-même. Le niveau orange comprend les affaires pour lesquelles les «New-Yorkais» ont besoin de l'aval de Berne. Le niveau rouge concerne les affaires délicates pour lesquelles l’ensemble du Conseil fédéral doit prendre les commandes. On peut imaginer que cette couleur concerne les événements de l’ampleur d’une guerre, comme celle qui a éclaté le 24 février en Ukraine.

Questionné sur la nervosité et la tension ambiantes, Flavio Milan, chef de la coordination de l’ONU au Département des affaires étrangères, brosse un tableau d’une situation plus sereine: «Le mécanisme ne fonctionne pas différemment des autres organes politiques de l’ONU, comme l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme, où le processus est bien rodé depuis des années.»

De plus, la Suisse prend déjà constamment position en tant que non-membre du Conseil de sécurité. «Les positions de la Suisse sont généralement connues», assure Flavio Milan. De ce point de vue, il n’y a «rien de fondamentalement nouveau».

«Une instruction de Berne pour toutes les affaires»

Jusqu’à présent, le principe en vigueur entre la Suisse et son poste extérieur à l’ONU était qu’avant chaque décision, une demande dite d’instruction était transmise à Berne. Là, tous les services compétents de l’administration étaient impliqués avant que la mission à New York ne reçoive ses instructions de la ville fédérale.

Si l’on en croit Flavio Milan, ce régime s’applique également au temps passé au Conseil de sécurité. «La délégation à New York n’agira jamais de manière totalement détachée, prédit-il. Pour toutes les affaires, il y aura une instruction de Berne.»

Concernant le système de feux tricolores, il fait référence à une décision prise en novembre, lorsque le Conseil fédéral a défini dans quels cas il prendrait le relais en tant qu’organe global. Cela doit se produire dans trois situations: lorsque les départements ne sont pas d’accord, lorsqu’il s’agit de poser des jalons de grande portée comme lors d’une intervention militaire, et lorsqu’un thème est particulièrement important pour la politique intérieure de la Suisse.

Reste à savoir comment Ignazio Cassis défendra à chaque fois les manœuvres de ses collaborateurs à New York devant le Parlement au Palais fédéral. Le débat houleux sur la neutralité autour des livraisons d’armes à l’Ukraine pourrait n’être qu’un début.

(Adaptation par Louise Maksimovic)

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