Interpellés sur le territoire du Royaume-Uni, convoyés dans des avions charters sous surveillance de sociétés de sécurité privées, puis réinstallés de force dans des camps de transit au Rwanda. Tel est l’objet du projet de loi «Safety of Rwanda» sur l’encadrement des expulsions de migrants vers l’Afrique centrale adopté lundi 22 avril par les deux chambres du Parlement britannique.
Une solution «pragmatique», comme l’affirme le premier ministre conservateur Rishi Sunak, que tous les sondages donnent encore perdant aux élections législatives attendues au plus tard le 28 janvier 2025? Ou bien une «infamie» comme le crient les organisations de défense des droits de l’homme?
La réalité est que cette délocalisation de force des migrants – similaire à celle mise en œuvre depuis six ans par l’Australie, qui expulse les déboutés du droit d’asile vers des îles du Pacifique – n’a rien à voir avec une solution durable et tenable. Explications.
Les migrants, un tsunami?
La réponse est non, même si Rishi Sunak s’exprime en permanence derrière une pancarte flanquée du slogan «Stop the boats» (Arrêter les bateaux). Moins de 30'000 migrants, selon les statistiques officielles, ont rejoint le Royaume-Uni en traversant la Manche dans des conditions souvent terribles, comme vient de le prouver la mort de cinq personnes, dont un enfant de quatre ans, dans la nuit de lundi à mardi. A titre de comparaison, près de 150'000 migrants sont arrivés clandestinement en Italie l’année dernière, et environ 110'000 personnes en France. 27'000 demandes d’asile ont par ailleurs, en 2023, été déposées en Suisse.
A ce nombre de clandestins arrivés par la mer dans les Îles Britanniques s’ajoutent bien sûr les personnes arrivées légalement, avec un visa, avant d’y rester sans autorisation. Y a-t-il, dès lors, une urgence migratoire au Royaume-Uni? Non. Mais pour le parti conservateur au pouvoir, dont une grande partie des dirigeants – dont Rishi Sunak – ont défendu la sortie de l’Union européenne au nom du slogan «Take back control» (Reprendre le contrôle), l’affaire est idéologique.
Le Rwanda, pourquoi?
Le choix des expulsions vers un pays tiers s'explique par la volonté de Londres de «casser les filières migratoires». Il s’agit toutefois avant tout d’un accord financier, conclu en avril 2023. Ce pays dirigé depuis 1995 par le président autoritaire Paul Kagamé, en visite à Londres début avril, va toucher d’importantes sommes d’argent pour construire et encadrer les futurs centres d’accueil des personnes expulsées. Officiellement, chaque migrant partira avec un pécule d’environ 3500 francs. Mais selon le quotidien progressiste «The Guardian», les autorités de Londres dépenseront en réalité deux millions de francs par migrant pour financer son expulsion, son accueil, puis sa quasi-détention. «Même si le Royaume-Uni n’envoie personne dans ce pays d’Afrique centrale, Sunak s’est engagé à payer 370 millions de livres sterling (400 millions de francs) sur les fonds publics au cours des cinq années après l’adoption de l’accord» complète le «Guardian».
Fait important: les expulsés du territoire britannique ne pourront pas y revenir, même s’ils sont déclarés éligibles à l’asile. Ce sera alors au Rwanda de les accueillir. Selon la BBC, 52'000 migrants pourraient être concernés.
Le Rwanda, un accueil crédible?
La mise en œuvre de ce plan voté lundi 22 avril par le Parlement britannique sera tout, sauf guidée par des critères humanitaires. Selon la BBC, un millier d’agents de sécurité seront spécialement entraînés pour convoyer les expulsés vers le Rwanda par avion. D’un point de vue juridique, l’affaire avait été tranchée en 2023 par la Cour suprême britannique. Celle-ci avait alors statué à l’unanimité sur «l’illégalité» du programme de déportation, estimant qu’en cas d’expulsion, la destination prioritaire doit être le pays d’origine des réfugiés. La Cour suprême avait également alerté sur le fait que ce plan viole la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui interdit la torture et les traitements inhumains, dont le Royaume-Uni est signataire…
«C’est une infamie sans nom» a commenté l’ONG de défense des droits de l’homme Amnesty International. Basé à Genève, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a estimé que cet accord va «à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains». Côté matériel, les exilés seront hébergés d’abord dans divers petits hôtels de la capitale rwandaise, puis, s’ils en ont les moyens, dans des lotissements construits pour l’occasion, notamment dans le quartier «Bweza River Estate» à Kigali.
Le Rwanda, quelles garanties?
La porte-parole du gouvernement rwandais Yolande Makolo a démenti ce chiffre auprès du journal, et assuré que le projet du Rwanda était, depuis le départ, de mélanger les migrants et les habitants sur place. Mais aucune garantie n’est donnée par les autorités de Kigali. Lesquelles n’ont pas démenti, par exemple, le fait que 70% des constructions édifiées pour accueillir les migrants ont déjà été vendues à des Rwandais. Les demandeurs d’asile relocalisés seront par ailleurs autorisés à travailler légalement au Rwanda. Les demandeurs d’asile déboutés sont supposés recevoir «un soutien des autorités rwandaises» pour une période allant jusqu’à cinq ans, notamment pour le logement.
Au Royaume-Uni, quels recours?
L’affaire de cet accord «Safety Rwanda» est tout sauf terminée, malgré son adoption par le Parlement britannique. Une dizaine d’amendements ont été acceptés par les parlementaires, dont la possibilité pour les tribunaux britanniques d’intervenir dans l’expulsion des demandeurs d’asile. C’est là le principal revers pour le gouvernement, qui a présenté ce texte précisément pour contourner les injonctions judiciaires. Il est notamment prévu que «le Rwanda n’expulsera pas vers un autre pays les personnes transférées dans le cadre du partenariat» et que soit mis en place «un tribunal conjoint avec des juges rwandais et britanniques à Kigali pour garantir la sécurité des migrants. Les premiers départs aériens sont prévus d’ici dix à douze semaines, soit à partir de juillet.