Attention, la vengeance de Fabrice Leggeri est un plat qui ne se mange pas froid. L’ex-patron de l’agence Frontex, âgé de 55 ans, avait été contraint de démissionner de l’institution basée à Varsovie (Pologne) le 29 avril 2022. Ce commissaire de police français, ancien cadre du ministère de l’Intérieur à Paris, avait affirmé haut et fort qu’il payait le prix de la mobilisation des lobbies pro-migrants et des ONG de défense des droits de l’homme à son encontre.
Nombre d'entre eux avaient d’ailleurs applaudi son départ, approuvé par le conseil d’administration de l’agence chargée, depuis 2005, de contrôler les frontières extérieures de l’Union européenne et de l’espace Schengen. 257'655 demandes d’asile ont été déposées dans les pays membres de l’UE et de l’espace Schengen (dont la Suisse est membre) en 2022, soit une augmentation de 54% par rapport à 2021.
A lire sur le Rassemblement national
Deux ans plus tard, l’heure du règlement de comptes est venue. Et c’est sur le terrain politique que le policier a choisi de riposter, en affirmant que l'Europe est une passoire à immigrés. Il sera numéro trois sur la liste du Rassemblement national pour les élections européennes du 9 juin. Un renfort de poids pour le parti national-populiste de Marine Le Pen, dont la liste pour le parlement de Strasbourg sera dirigée par son dauphin Jordan Bardella, 28 ans.
Institution diabolisée
Fabrice Leggeri vient donc de faire ce que tout fonctionnaire devrait éviter: diaboliser l’institution qu’il a servi pendant sept ans, entre 2015 et 2022. Dans une vidéo postée sur les réseaux sociaux, l’ex-policier accuse. Pour lui, l’Union européenne est aux mains des officines pro-migrants, qui empêchent la mise en place d’une politique d’expulsion à la mesure des arrivées des clandestins.
Son raisonnement: l’Union européenne et ses pays partenaires – dont la Suisse où une majorité d’électeurs ont voté le 15 mai 2022 pour le renforcement de la contribution helvétique à l’agence – sont ligotés par des recours juridiques abusifs. Sa cible et la raison de sa colère? L’Office européen de lutte antifraude qui, après plusieurs plaintes déposées en 2020, a mené l’enquête contre Leggeri et ses équipes pour non-assistance à migrants en danger.
D’abord une perquisition dans les bureaux de Frontex à Varsovie en décembre 2020. Puis des entretiens à répétition et les accusations finalement retenues contre l’ex-directeur: «L’OLAF s’est intéressé à des actes de «harcèlement», de «mauvaise conduite» et de «refoulements de migrants» aux frontières extérieures de l’Union européenne (UE) et a conclu sur la «gravité» des faits» expliquait, en avril 2022, le rapport de la «police des polices» de l’UE. Fabrice Leggeri avançait des chiffres en guise de bilan. Frontex avait, en 2021, à la sortie de l’épidémie de Covid, coordonné le renvoi de près 25'000 personnes à travers 151 vols charters vers 24 pays. Des opérations d’expulsion organisées à 90% à l’initiative de la France, l’Italie et l’Allemagne.
Abus en Grèce
Alors? L’OLAF a surtout constaté des abus en Grèce, dans les opérations de sauvetage (ou de non-sauvetage) des migrants en mer, en provenance de Turquie. «Rien n’a été fait concernant les rapports faisant état de transgressions des droits fondamentaux en Grèce et les opérations de renvoi de migrants par la Hongrie ont continué en 2020, malgré un arrêt de la Cour de justice de l’UE les jugeant incompatibles avec le droit européen», ont justifié dans un communiqué les eurodéputés de la commission de contrôle budgétaire du Parlement, qui avaient suspendu l’apurement des comptes de Frontex.
En Suisse aussi…
La vengeance politique de Fabrice Leggeri va, à coup sûr, résonner en Suisse. La Confédération verse actuellement 25 millions de francs au budget de l’agence Frontex, et ce montant passera à plus de 65 millions d’ici 2027. Le budget annuel total de l’institution, désormais dirigé par un policier néerlandais, Hans Leijtens, est de 845 millions d’euros.
Mais comment faire confiance à une institution que son ancien directeur estime minée par une culture abusive des droits humains, et par la géopolitique des migrations: «Certains États utilisent la question migratoire pour tenter de déstabiliser l’Union européenne […] Il ne s’agit pas d’empêcher des personnes de demander l’asile. Nous sommes dans l’interception des trafics», affirmait-il en février 2021 à Europe 1.
Le ralliement de Fabrice Leggeri au Rassemblement national intervient alors que ce parti exige un référendum français sur l’immigration. Et pile au moment où la question du droit du sol est remise en cause en France, par l’explosion migratoire sur l’île de Mayotte, dans l’Océan indien. Une grande majorité de Mahorais (la population locale) exigent de mettre fin à cette disposition qui permet à des milliers de femmes comoriennes et africaines de venir chaque année accoucher sur leur territoire pour disposer ensuite de papiers de résidence.