Enfin! Il aura fallu quatre ans de négociations pour que l’Union européenne parvienne à un accord sur le pacte «Asile et migrations» proposé en septembre 2020. Il s’agit en fait d’un paquet législatif de plusieurs textes. Et cet accord concerne aussi la Suisse, pays non-membre de l’UE, mais membre à part entière de l’espace Schengen de libre circulation. Explications.
Quelle est la portée de cet accord?
Ce paquet législatif européen enfin adopté ce mercredi 20 décembre est d’abord très politique. Il entend répondre à l’inquiétude croissante des 500 millions de citoyens de l’UE, et des populations des pays tiers, face aux vagues migratoires en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Ukraine (depuis le début du conflit, le 24 février 2022).
Ses dispositions sont techniques et visent à modifier la gestion des trois sujets clés: le contrôle aux frontières, l’accueil des migrants sur le sol européen, puis le traitement des demandes d’asile (966'000 demandes déposées en 2022). La Suisse est directement concernée par ces trois aspects, même si elle n’a pas à garder une frontière extérieure de l’Union.
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Premier aspect qui concerne la Confédération: le rôle de Frontex, l’agence frontalière basée à Varsovie pour laquelle les Suisses ont accepté une augmentation budgétaire (de 24 millions de francs annuels à 67 millions d’ici à 2027) par référendum, le 15 mai 2022. Deuxième aspect: les demandes d’asile. Troisième aspect: la relocalisation de migrants sur le sol helvétique. La Suisse s’était engagée à accepter 1600 migrants sur son sol pour 2022 et 2023. Ce qui a été fait.
Cet accord est-il à la hauteur?
On peut s’inquiéter, car les procédures finalement acceptées ont été proposées en 2020 par la Commission européenne, soit il y a quatre ans. Or depuis, la situation est devenue plus explosive, en particulier dans certains points névralgiques comme l’île italienne de Lampedusa.
Premier problème: la règle actuelle selon laquelle le premier pays d’entrée dans l’UE d’un demandeur d’asile est responsable de son dossier demeurera, avec quelques aménagements. D’où l’inquiétude de pays comme l’Italie ou la Grèce.
Second problème: rien ne garantit l’application effective du système de solidarité obligatoire (relocalisation) mis en place en cas de pression migratoire. Les États membres qui refusent devront apporter un soutien financier, ce qui ne règle pas le problème humain.
Troisième problème: la relocalisation des migrants arrivés après un sauvetage en mer va demeurer problématique. L’Italie, qui vient de signer un accord avec l’Albanie pour l’installation de centres de migrants dans ce pays, s’est toutefois dit satisfaite.
Des frontières mieux contrôlées?
Les étrangers arrivés sur le sol de l’espace Schengen sans visa seront soumis à une procédure de contrôle préalable à l’entrée, comprenant l’identification, la collecte de données biométriques et des contrôles de santé et de sécurité, pendant une période pouvant aller jusqu’à sept jours.
Une procédure commune européenne de gestion des migrants sera mise en place, avec mesures d’identification biométriques dans le système Eurodac. Le traitement des demandes d’asile devrait être accéléré (jusqu’à six mois pour une première décision). La réforme prévoit aussi un «filtrage» des migrants à leur arrivée et une procédure accélérée pour ceux qui sont statistiquement les moins susceptibles d’obtenir l’asile, afin de les renvoyer plus rapidement vers leur pays d’origine ou de transit.
Un point crucial est le refus d’entrer sur le territoire d’un pays Schengen. Il devrait conduire à la construction de nouveaux «hotspots»: des centres de rétention aux frontières de l’UE.
L’agence Frontex plus efficace?
Cela concerne directement la Suisse qui, après le référendum de mai 2022, prévoit de déployer en son sein une soixantaine d’agents. La réalité est que Frontex, aujourd’hui forte d’environ 3000 employés, va tripler ses effectifs d’ici 2027, pour atteindre 10'000 personnes. Ses moyens financiers et matériels seront aussi accrus.
Le premier défi, pour Frontex, sera de répondre à la demande des Etats membres qui, comme l’Italie, souhaitent établir une liste de pays «sûrs» vers lesquels les migrants déboutés pourront être renvoyés. On pense à l’Albanie, choisie par Rome. Le Royaume-Uni, hors UE et hors Schengen, a opté pour le Rwanda.
Si Frontex doit se charger de ces rapatriements, la tâche logistique et sécuritaire sera énorme. Or en la matière, les promesses sont loin d’être suivies d’effets. Une chose apparaît certaine: l’organisation basée à Varsovie va devenir l’une des plus puissantes agences européennes.
Quels risques de blocage?
Le premier risque est celui du calendrier. Il faut encore que l’accord obtenu à Strasbourg ce mercredi 20 décembre soit voté par le parlement européen. Il faudra ensuite que les États membres transposent les directives (les règlements européens sont d’application immédiate) dans leur législation. On voit, avec l’exemple de la France, que beaucoup de pays prennent des initiatives nationales qui peuvent interférer avec les règles communautaires.
Le second risque est celui d’un refus caractérisé d’appliquer ces règles. Que faire si un pays comme la Hongrie, qui assumera la présidence tournante de l’Union européenne au second semestre 2024, refuse catégoriquement la réinstallation de migrants et les compensations financières prévues pour les pays de premier accueil? Le volet juridique est aussi essentiel. L’Italie voit ces jours-ci son accord avec l’Albanie bloqué par la cour suprême, tandis que de plus en plus d’Albanais s’opposent au projet.
La construction de «hotspots» aux frontières de l’Union promet d’être un casse-tête. Les pays de départ ou de transit, comme le Maroc, la Tunisie, l’Algérie ou la Libye, ont leurs exigences et instrumentalisent les décisions européennes. Les mafias ont intégré les réseaux de passeurs. Bref, la vérité du terrain n’est pas celle des accords conclus entre les États membres.