Giorgia Meloni peut remercier Edi Rama. La première ministre italienne a peut-être trouvé, grâce à l’accord conclu avec son homologue albanais, une solution à l’engorgement des centres de rétention pour demandeurs d’asile en Italie. Selon cet accord signé le 7 novembre, le gouvernement italien va entamer la construction de deux camps de transit pour migrants, en attente de l’examen de leur statut. Le premier se trouvera dans le port de Shëngjin, dans le nord-ouest du pays, à moins de cent kilomètres de la frontière transalpine. Le second sera construit sur le site d’un ancien aéroport, dans la ville voisine de Gjadër. Dans les deux cas, ces centres seront sous responsabilité italienne, et entièrement financés par Rome. Ils pourraient accueillir au total près de 10'000 clandestins, mais certains experts affirment que le chiffre de 50'000 aurait été évoqué par les deux parties.
L’intérêt de cet accord Italie-Albanie est qu’il met l’Union européenne au pied du mur, et qu’il intervient en pleine polémique sur le projet du Royaume-uni d’expédier des migrants déboutés du droit d’asile au Rwanda, à l’est du continent africain. Le 15 novembre, la Cour suprême britannique a jugé l’option rwandaise illégale. Cinq juges de la plus haute juridiction du pays ont déclaré que ces demandeurs d’asile seraient «exposés à un risque réel de mauvais traitements» parce qu’ils pourraient être renvoyés dans leur pays d’origine une fois qu’ils se trouveraient au Rwanda.
Rishi Sunak persiste
Le Premier ministre conservateur Rishi Sunak a toutefois refusé d’abandonner cette option, sorte de copié-collé de la formule mise en œuvre par l’Australie, qui déporte depuis des années les migrants que ses autorités jugent indésirables sur l’île de Nauru, dans le Pacifique.
Selon Amnesty International, plusieurs milliers d’hommes, femmes et enfants venant de pays tels que l’Iran, l’Irak, le Pakistan, la Somalie, le Bangladesh, le Koweït et l’Afghanistan y vivent dans des conditions effroyables, dans des centres de détention mis en place par l’Australie. L’organisation de défense des droits de l’homme affirme qu’ils y sont «abrités sous des tentes surpeuplées et moisies, où les gardiens conduisaient régulièrement des fouilles semblables à celles menées en prison, et n’ont droit qu’à une douche de deux minutes, avant d’être poussés dehors».
Le cas de l’Australie
Peut-on comparer le projet italien à cette déportation de migrants par l’Australie loin du regard des médias, dans une île où aucun projet de vie n’est possible? La réponse est non, du moins si l’on s’en tient aux engagements de Rome. La première différence tient au fait que l’Albanie, qui a obtenu le statut de candidat à l’Union européenne en 2014, est sur le continent européen et à proximité de plusieurs pays membres de l’UE, comme la Slovénie, la Grèce ou la Croatie.
Le pays a, de plus, intérêt à se montrer sous son meilleur jour pour intégrer l’Union, en même temps que les autres pays des Balkans occidentaux (Serbie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Kosovo). Ce dont les dirigeants des 27 doivent débattre lors de leur sommet de décembre, au même moment que leur discussion attendue sur le démarrage ou non de négociations d’adhésion avec l’Ukraine et la Moldavie.
La seconde différence est que cet accord ne contrevient ni aux règles européennes, ni à l’actuelle jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. En 2016, l’Union européenne a conclu un accord avec la Turquie afin d’empêcher les personnes de se rendre dans l’Union de manière irrégulière, ce qui revient grosso modo au même, puisque les autorités d’Ankara gèrent les migrants désireux de se rendre dans l’UE. Selon le protocole entre l’Italie et l’Albanie, les camps fonctionneront sous la juridiction italienne et devraient ouvrir au printemps 2024. Leur coût sera d’environ 16,5 millions d’euros. Cette situation est en outre assez proche des camps de déplacés gérés, à travers le monde, par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) basé à Genève.
Le pacte «Asile et migrations»
L’autre spécificité de cette initiative italienne est qu’elle anticipe en quelque sorte le pacte «Asile et migrations» de cinq textes législatifs européens, actuellement en phase finale de négociation entre les 27 pays membres et le parlement européen. L’une des propositions clefs de ce paquet législatif est d’uniformiser les procédures d’asile communautaires et d’en confier la gestion à l’agence de l’UE pour l’asile crée en janvier 2022, équivalent de Frontex pour la protection des frontières extérieures (dont la Suisse est membre). Les deux camps situés en Albanie pourraient donc, à terme, être gérés par cette agence et servir de modèles à d’autres centres, situés hors du territoire de l’Union. Les pays les plus hostiles à la relocalisation des demandeurs d’asile sur leur territoire, comme la Pologne ou la Hongrie, ont déjà fait savoir qu’ils seraient prêts à financer ce type d’installations.
La question du retour
L’inquiétude est de taille, en revanche, sur le volet le plus épineux du dispositif, à savoir le «filtrage» des migrants, entre ceux qui obtiennent l’asile et ceux qui, déboutés, devront être refoulés. Le choix d’un ancien aéroport comme second centre de rétention des migrants venus d’Italie laisse clairement entendre que des avions pourront s’y poser et décoller, en but de rapatrier ces derniers vers leurs pays d’origine. Comment? Avec quelles garanties?
Dans le cas de l’Italie, les experts regardent du côté de la Tunisie, d’où proviennent environ 90% des 140'000 personnes débarquées en 2023 sur les rivages transalpins, la plupart originaires d’Afrique. Il est en effet peu probable que d’autres pays des Balkans acceptent la construction de camps sur leur territoire si ceux-ci deviennent des abcès de fixation. Un défi de taille: selon les chiffres du parlement européen, les pays de l’UE ont rendu 422'400 décisions de retour. Cependant, moins d’un quart des ressortissants de pays tiers (96'795 personnes) ont été renvoyés dans un pays hors de l’UE.