Il vient d'être adopté
Le pacte européen pour les migrants est-il un mur ou un filet (déjà) troué?

Le parlement européen l'a adopté définitivement ce mercredi 10 avril. Problème: le pacte européen sur l'asile et les migrations, qui aura des conséquences pour la Suisse, arrive trés tard. Et il est déjà incomplet.
Publié: 10.04.2024 à 13:47 heures
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Dernière mise à jour: 10.04.2024 à 18:45 heures
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Le pacte européen sur l'asile et les migrations tente de maintenir l'équilibre entre l'accueil et les expulsions de migrants.
Photo: imago/Eibner Europa
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est fait. Ce mercredi 10 avril le Parlement européen a adopté les textes définitifs qui constituent le pacte «Asile et migrations», soit dix projets de loi (directives et règlements dans le jargon de l’UE) pour intensifier la coopération et la solidarité entre les 27 États-membres et leurs partenaires de l’espace Schengen, dont la Suisse. Ces textes, c’est important, avaient déjà approuvés. Ils ont été âprement négociés depuis la proposition initiale de la Commission européenne, le 23 septembre 2020. Quatre ans de négociations, de désaccords et de tergiversations! L’essentiel entrera en vigueur en 2026.

Est-ce un début de mur qui permettra au Vieux Continent de se protéger contre l’afflux de clandestins? Ou, au contraire, un filet troué arrivé trop tard, et trop peu répressif comme l’affirment les partis nationaux-populistes, en pleine campagne pour les élections européennes qui se tiendront du 6 au 9 juin? Voici les réponses. Toutes auront un impact pour la Suisse, puisque la Confédération est membre du système Schengen de gestion des frontières extérieures de l’espace de libre-circulation. La Suisse finance et équipe aussi Frontex, l’agence chargée des contrôles frontaliers.

Un mur ou quelques briques?

Le Pacte européen sur les migrations n’est pas un mur. Il ne s’agit pas de faire de l’Union une forteresse entourée de remparts concrets et administratifs pour se défendre contre les migrants. De nouvelles briques sont en revanche posées, susceptibles de servir de fondation à un durcissement futur, qui paraît inévitable. Les contrôles aux frontières seront enfin harmonisés, tout comme les procédures d’asile et d’éloignement – c’est-à-dire de reconduction dans le pays d’origine des personnes non éligibles au droit d’asile.

Celui-ci deviendra par ailleurs plus restrictif. Exemple: une demande d’asile ne pourra plus être évoquée par les individus qui présentent un «danger» (suspicion terroriste, etc…). Les irrecevabilités seront plus nombreuses. La base de données Eurodac (le système européen de comparaison des empreintes digitales des demandeurs d’asile) sera désormais interopérable avec les autres systèmes européens, comme le système d'information Schengen (SIS) qui inclut les données suisses. La procédure de traitement des demandes d’asile sera uniformisée. De vrais progrès.

Que faire des murs nationaux?

Le Pacte européen sur l’asile et les migrations n’a pas été adopté à l’unanimité par les 27 États membres de l’Union. Ce n'était d'ailleurs pas requis. Il est néanmoins très important de le redire. Au sommet de Grenade (Espagne) qui a verrouillé ce dispositif législatif en octobre 2023, la Pologne et la Hongrie ont exprimé «leur farouche opposition» à ces dispositions. Ces deux pays sont au contraire favorables à l’édification concrète de murs qu’ils ont d’ailleurs, chacun, commencé à construire. Le premier est sorti de terre le long de la frontière polonaise avec la Biélorussie.

Le second barricade la frontière entre la Hongrie et la Serbie. Barbelés, miradors, caméras vidéo de surveillance. Ces deux murs ressemblent à celui construit par l’Espagne pour protéger ses enclaves marocaines de Ceuta et Melilla. Le pacte voté ce mercredi 10 avril à Strasbourg ne prévoit rien pour financer d’autres murs, alors que douze pays, dont la Lituanie et l’Autriche, le réclamaient. Mais pour combien de temps?

Des migrants relocalisés, mais comment?

Selon le texte voté en séance plénière à Bruxelles, les 27 États membres pourront choisir de relocaliser les demandeurs d’asile sur leur territoire, d'apporter une contribution financière ou d'accorder un soutien opérationnel et technique aux États membres soumis à une pression migratoire. Le problème est que tout ceci reste très théorique. D’abord parce que le chiffre avancé de trente mille demandeurs d’asile relocalisés est à des années-lumière de la réalité: 1,1 million de demandes en 2023 ont effet été déposées pour la seule année 2023.

Ensuite parce que les demandeurs d’asile vont continuer d’arriver en priorité sur les côtes espagnoles, grecques, françaises ou italiennes, ou aux frontières terrestres orientales de l’UE, via la Turquie. Enfin parce que le principe de solidarité prévu par le pacte (ceux qui n’accueilleront pas pourront payer ou soutenir l’effort des pays exposés) reste encore flou. Sitôt le pacte voté, la Pologne vient de réitérer son opposition à toute relocalisation sur son territoire. Décréter une solidarité obligatoire dans son principe est une chose. La mettre en œuvre en est une autre.

Des migrants expulsés, vraiment?

C’est la question cruciale. Qui va renvoyer les migrants déboutés de leurs demandes d’asile et comment? Là encore, tout est très théorique. «Un nouvel écosystème européen en matière de retour» piloté par un «nouveau coordinateur européen sera mis en place, ainsi qu’un «réseau
de haut niveau coordonnant les actions nationales». Avec, dans le rôle de bras armé, l'’agence européenne de garde-côtes et de gardes-frontières qui coordonne et organise déjà des vols charters pour venir en soutien des expulsions mises en œuvre par les États membres.

Problème: la révision de la directive «retour» qui fixe les conditions des rapatriements forcés dans l’UE ne figure pas dans le paquet législatif sur lequel les eurodéputés ont voté ce 10 avril. Plus grave: elle date de 2008! Les reconductions à la frontière vont donc continuer de dépendre de deux facteurs: 1. Les accords négociés avec certains pays en échange d’une aide économique massive (comme cela vient d’être fait avec la Tunisie et l’Égypte) 2. Les politiques nationales d’incitation au départ. Important: ce pacte ne permettra pas des renvois massifs de migrants déjà présents sur le sol européen.

Où seront les futurs camps de migrants?


Là aussi, le pacte européen manque de clarté. Un point est explicite: les arrivants qui viennent d’un pays pour lequel le taux d’octroi du statut de réfugié est inférieur à 20% seront retenus dans des centres d’enregistrement («hotspots») pour une procédure «à la frontière» qui pourra durer jusqu’à trois mois. Et les autres? Va-t-on voir se multiplier les camps hors de l’UE comme l’Italie propose de les construire puis de les gérer en Albanie, pays candidat à l’adhésion? Des financements doivent être débloqués pour ces lieux nécessaires à l’efficacité du dispositif, dans le budget européen 2021-2027 et la Suisse, payx partenaire, pourrait être mise financièrement à contribution. Une conférence ministérielle sera organisée à Gand (Belgique) le 29 avril.

Va-t-on voir la Grèce bâtir, sur des îles inhabitées, des camps de migrants financés par les autres pays de l’UE? Le pacte approuvé par le parlement européen permet de redistribuer les cartes et d’uniformiser les réponses aux flux migratoires. Il laisse encore une grande marge de manœuvre aux pays directement visés par l’afflux de demandeurs d’asile. Le filet reste quand même sacrément troué.

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