Emmanuel Macron en est malheureusement convaincu. Pour le président français, une bonne réforme est celle que l’on obtient à la hussarde, quitte à mettre une partie du pays dans la rue et à fracturer encore plus l’opinion. Qu’importe si le processus législatif perd, in fine, sa crédibilité, et si les extrêmes de gauche et de droite ramassent la mise. Or tel est le verdict indiscutable du projet de loi sur l’immigration, dont le Conseil constitutionnel vient de censurer environ 40%, en supprimant les dispositions de durcissement de l’accès aux aides sociales ou au regroupement familial.
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L’objectif de se saisir de ce sujet empoisonné qu’est l’immigration, et d’adapter la loi française aux nouvelles réalités européennes méritait en effet bien mieux que cette mascarade institutionnelle. Où est l’étude d’impact des lois existantes qui se sont accumulées au fil des années, dont la dernière en date remonte à 2018, au début de la présidence Macron? Où sont les propositions susceptibles, dans le cadre législatif actuel, de rendre le système d’accueil plus efficace et moins propice aux abus?
On pourrait multiplier les questions de ce type, au vu des déficiences du texte législatif censuré. Pour l’essentiel, le Conseil constitutionnel n’a pas rejeté le durcissement des conditions d’asile, volonté politique d’un gouvernement démocratiquement élu. Les gardiens de la loi fondamentale ont juste estimé que plusieurs dispositions, notamment sur l’accès aux aides sociales, n’avaient rien à faire dans ce projet de loi. En clair: l’exécutif est allé trop vite, et de façon trop brouillonne. Avec pour seule intention de donner l’impression d’agir. En politique, cette stratégie est celle de l’écran de fumée.
Rien n’est réglé
Le problème est que finalement, rien n’est réglé. Concrètement, et jusqu’à nouvel ordre, les étrangers continueront d’avoir accès à la plupart des prestations sociales sans aucune différence avec les Français. Les clandestins, dans un pays où 142'500 demandes d’asile ont été introduites en 2023 (un record) contre 123'500 en 2022, continueront, eux aussi, d’avoir accès à une gamme de soins gratuits unique sur le continent européen.
Les frustrations augmenteront encore. Les pro et anti-immigration poursuivront leur face-à-face dans les rues. Et la foi dans la capacité du pouvoir à changer les choses, et à gérer le réel, sera encore plus abîmée. Pire: en transformant les juges constitutionnels en arbitre, le président les expose à des critiques politiques, dommageables pour leur rôle et leur institution.
Terrain médiatique
Emmanuel Macron avait donné le ton sur l’immigration en laissant entendre, sans y croire et pour occuper le terrain médiatique, qu’il songeait à un référendum sur ce sujet. Son ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a poursuivi en reprenant le texte de la droite sénatoriale, après avoir échoué à rallier une majorité de députés de centre droit et centre gauche.
Résultat: l’idée initiale du «donnant-donnant» – à savoir faciliter la vie des étrangers qui travaillent et décourager les autres – s’est perdue en route. Un rapport de la Cour des comptes sur l’immigration a même été retardé. L’extrême-droite, qui avait voté le texte de loi censuré, peut maintenant surfer sur ces promesses de durcissement non tenues.
L’avenir de nos sociétés
L’immigration est un sujet bien trop sérieux pour l’avenir de nos sociétés pour être l’instrument de bas calculs politiques. Emmanuel Macron, qui a convié deux conventions citoyennes sur le climat et sur la fin de vie, ferait bien aujourd’hui de calmer le jeu et de sortir de ce guêpier en tirant les bonnes conclusions du jugement constitutionnel.
Efficacité, humanité, réalisme, capacités d’intégration: l’accueil des migrants doit répondre simultanément, en France, à ces quatre impératifs. Les manœuvres pour obtenir une loi à tout prix et en accéléré ne sont, elles, que la preuve d’un détestable et dangereux opportunisme.