Les migrants, légaux ou clandestins ont-ils les mêmes droits sociaux que les Français en vertu de la Constitution qui, dans son article premier, énonce que «l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion» ?
C’est l’une des questions que les neuf juges du Conseil constitutionnel français devront aborder ce jeudi 25 janvier, dans leur examen du projet de loi sur l’immigration adopté par l’Assemblée nationale et par le Sénat le 19 décembre 2023. Les magistrats chargés de veiller au respect de la loi fondamentale, nommés pour neuf ans, ont été saisis à la fois par des parlementaires et par le président de la République lui-même. Leur avis sera définitif. Il pourrait vider de sa substance ce texte législatif voté avec les voix de la droite et de l’extrême droite, qui durcit considérablement les conditions d’accueil des migrants sur le sol français.
Que prévoit justement ce projet de loi, dont la teneur se rapproche des législations en vigueur dans plusieurs pays européens comme l’Allemagne, le Danemark ou la Suisse? Il énumère, entre autres, plusieurs allocations dont les modalités d’accès seront modifiées pour les étrangers en situation régulière qui ne viennent pas de l’Union européenne ou de pays avec lesquels la France a des accords bilatéraux, tels la Suisse: les prestations familiales (allocations familiales et allocation de rentrée scolaire); l’allocation personnalisée d’autonomie (APA, de 250 à 950 euros mensuels, selon le degré d’invalidité) pour les plus de 60 ans et les allocations personnalisées au logement (APL, environ 115 euros par mois).
Automaticité des aides
Jusqu’à maintenant, les étrangers en situation régulière sur le territoire français peuvent bénéficier de ces aides dès l’obtention de leur titre de séjour, comme les citoyens français. Les demandeurs d’asile, dont le dossier est en cours de traitement, bénéficient pour leur part d’une allocation spécifique d’environ 200 euros par mois pour un adulte. En sachant que tous les migrants, sous diverses formes, bénéficient d’un accès quasi-intégral aux services de soins publics via l’aide médicale d’État ou AME. La nouvelle loi change drastiquement cette automaticité, sans rétroactivité toutefois: l’accès aux prestations sociales ne sera en effet plus possible qu’après cinq ans ou deux ans et demi s’ils travaillent.
Convergence européenne
S’il n’est pas abrogé ou modifié par le Conseil constitutionnel, ce texte rapprocherait la France de l’Allemagne où, au-delà de l’aide d’urgence d’environ 180 euros par mois, les demandeurs d’asile doivent, depuis la réforme de novembre 2023, attendre 36 mois pour recevoir toute autre prestation complémentaire. Le Danemark, souvent cité en exemple par la droite et par le gouvernement, a instauré pour sa part un temps de résidence minimum de six ans pour pouvoir bénéficier de 100% du montant maximum des allocations familiales. L’Espagne ou la Suisse conditionnent une grande partie de l’accès aux aides sociales à l’exercice d’une pratique professionnelle sanctionnée par un contrat. La législation helvétique oblige en outre les personnes les personnes étrangères à souscrire une assurance maladie dans les 3 mois où ils arrivent sur le territoire afin de financer au préalable les aides dont ils pourraient bénéficier.
Principe d’égalité
Sur quelle base les juges constitutionnels pourraient-ils modifier le texte voté par le parlement? Outre le principe d’égalité et de fraternité qui figurent dans la loi fondamentale, la référence principale est une jurisprudence de 1993, selon laquelle «le législateur doit respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République». Une étude publiée en avril 2021 par le Conseil constitutionnel, et disponible sur son site web, confirme que «si la situation d’égalité de droit ou de fait est établie et en l’absence d’intérêt général justifiant une distorsion de traitement, la loi doit s’appliquer dans les mêmes termes aux étrangers et aux nationaux».
Mais attention: l’examen approfondi de la jurisprudence constitutionnelle «précarise les droits de valeur constitutionnelle reconnus aux étrangers. Ces droits sont en effet balisés par les nécessités de l’ordre public». Une notion souvent invoquée pour justifier le durcissement des conditions d’asile et d’accès aux aides sociales dans un pays où Emmanuel Macron a lui-même pris la défense, lors de sa conférence de presse du 16 janvier, «de cette France de l’angle mort, cette France populaire, cette France des classes moyennes, qui dit quand vous proposez quelque chose ce n’est jamais pour moi».