Les Américains l'ont obtenu
Le cessez-le-feu en mer Noire est une victoire pour Moscou

L'accord entre l'Ukraine et la Russie sur un cessez-le-feu en mer Noire revêt surtout des avantages pour Moscou, dont les forces navales ont été chassées et détruites.
Publié: 25.03.2025 à 21:58 heures
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Dernière mise à jour: 25.03.2025 à 22:39 heures
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Steve Witkoff est l'émissaire spécial de Donald Trump pour la négociation du cessez-le-feu en Ukraine.
Photo: Getty Images
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Richard WerlyJournaliste Blick

L’accord obtenu par les Etats-Unis sur un cessez-le-feu en mer Noire est-il le prélude à un arrêt des combats durable et crédible? La réponse est non. La réalité du rapport de force est que cette trêve maritime profite d’abord à la Russie, dont les forces navales ont été chassées des rivages de la Crimée, annexée en 2014 par Moscou. La question, maintenant, est de savoir ce qui va suivre.

Pourquoi la Russie en avait besoin

La délégation russe à Riyad, en Arabie saoudite, affirme que ce cessez-le-feu naval doit permettre un retour à l’accord céréalier en vigueur de juillet 2022 à juillet 2023, et donc une reprise du commerce «empêché par les sanctions sur les exportations russes». Ce qui est en partie faux: les produits agricoles en provenance de Russie ne font en effet pas l’objet de sanctions (mais les banques, les armateurs et les compagnies d'assurance impliquées dans le négoce, oui). Le tarissement des exportations est avant tout le résultat de la défaite militaire cinglante subie par la marine russe, que les Ukrainiens ont décimé à force d’attaques menées, notamment, par des drones navals. La perte la plus spectaculaire a été le naufrage, le 14 avril 2022, du croiseur Moskva, navire amiral de la flotte russe en mer Noire, officiellement en raison de l’explosion d’une soute à munitions. Le port en eaux profondes de Sébastopol, en Crimée, a dû être abandonné. Et le repli vers le port de Novorossisk, plus à l’est, n’a pas empêché les Ukrainiens d’y endommager, en août 2023, le navire de débarquement Olenegorski Gorniak.

Pourquoi les Ukrainiens l’ont accepté

L’accord de l’Ukraine sur ce cessez-le-feu maritime est conforme à la position défendue par le président Volodymyr Zelensky, attendu ce mercredi 26 mars en soirée à Paris, où il participera le lendemain à une réunion de la «coalition des volontaires» européens, à laquelle le Canada se joindra. Kiev, rappelons-le, a donné son feu vert à un «cessez-le-feu total» que la Russie continue de refuser. Accepter cette trêve navale est dès lors conforme aux promesses faites par Zelensky au président Trump. L’Ukraine, qui a l’avantage sur ce terrain maritime, va pouvoir maintenant exiger des mesures de surveillance et de contrôle de cet arrêt des hostilités, qui pourraient déboucher sur des patrouilles internationales. Autre avantage pour Kiev: l’espoir de desserrer ainsi l’étau qui pèse sur trois villes clés des rives de la mer Noire, à savoir Odessa, Mikolaïv et Kherson.

Pourquoi les Etats-Unis parlent de succès

La délégation américaine à Riyad, en Arabie saoudite, avait impérativement besoin d’un début de trêve. L’émissaire du président Trump, l’ancien promoteur immobilier Steve Witkoff, ne pouvait pas revenir bredouille à Washington après douze heures de négociations avec les émissaires russes Grigori Karassine (un ancien diplomate de haut rang expert du dossier ukrainien) et Sergueï Besseda (ex-responsable du FSB, les services secrets). On sait aussi combien le commerce, c’est-à-dire le bon fonctionnement de l’économie, est important pour Trump. Avec ce communiqué final selon lequel les deux pays en guerre s’engagent à «assurer la sécurité de la navigation, à supprimer l’usage de la force et à empêcher l’utilisation de navires commerciaux pour des objectifs militaires en mer Noire», la Maison Blanche parle donc le langage de paix.

Pourquoi ce cessez-le-feu ne change rien

Parce que rien ne bouge, pour l’heure, sur la ligne de front terrestre longue de 1400 kilomètres, et que la trêve aérienne n’est toujours pas au rendez-vous. Or c’est cette dernière qui ferait réellement la différence pour une population ukrainienne à la merci des bombardements constants de l’aviation russe, comme on l’a encore vu lundi 24 mars à Soumy (au nord, à trente kilomètres de la frontière russe, près de la poche de Koursk perdue par les Ukrainiens qui l’avait conquise en août 2024), où un missile balistique a touché en milieu de journée un quartier résidentiel, causant des dégâts impressionnants. La question, maintenant, est de savoir si ce cessez-le-feu naval, qui vient s’ajouter à l’engagement mutuel d’interrompre les frappes sur les infrastructures énergétiques, est le prélude ou non à des concessions russes significatives.

Et maintenant, que va-t-il se passer?

Le Kremlin a déclaré que l'accord n'entrerait pas en vigueur tant que les États-Unis «n'auraient pas levé certaines sanctions imposées à son système financier et à son industrie agricole». Il faudra donc voir ce que Washington va décider. Le prochain rendez-vous consacré à la guerre en Ukraine est par ailleurs celui de la «coalition des volontaires» de 31 pays, qui se retrouvera jeudi 27 mars à Paris en présence du président Zelensky. Selon des sources françaises, l’objectif est «en transparence et en collaboration avec les Américains» de préciser le plan qui verrait, dès l’obtention d’un cessez-le-feu total, la mise en place de mécanismes de vérification et le possible déploiement d’une force européenne de «réassurance», à ne pas confondre avec une mission internationale de contrôle de l’arrêt des hostilités sur la ligne de front.

Conscients qu’une trêve est encore éloignée, les Européens insistent sur leur soutien militaire à l’Ukraine, dont la force militaire «reste la meilleure garantie» face à la Russie. Donald Trump a promis la paix. Dans les faits, ce qu’il vient d’obtenir sur la mer Noire est juste un prélude (au mieux), ou un paravent (au pire).

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