«Alerte aérienne au-dessus de Kiev! Tous à l'abri!» Trois soirs durant, l'alarme a retenti sur le téléphone portable de Nora Kronig Romero. Blick, qui a suivi la directrice de la Croix-Rouge suisse (CRS) lors de son voyage en Ukraine, en a été témoin.
Nora Kronig Romero, comment vit-on la guerre de l’intérieur?
C'est affreux. Mardi, dans le train, nous avons entendu les infos sur la conversation téléphonique entre les présidents Trump et Poutine au sujet d'un possible cessez-le-feu. Une heure plus tard, nous avons dû rejoindre un abri de l'hôtel et nous y sommes restés six heures. Les gens qui vivent cela depuis trois ans doivent faire preuve d'une force énorme.
Jeudi et vendredi, il y a eu de nouvelles alertes aériennes. Avez-vous eu peur pour votre sécurité?
A titre personnel, non. J'ai suivi les consignes de sécurité de façon stricte. Mais dans ces moments-là, on pense à tous les gens en Ukraine qui doivent avoir peur pour eux-mêmes, pour leurs familles et pour leurs amis; à ces gens qui voient les images d'explosions sur les canaux Telegram et qui découvrent une à une les informations sur les combats. On ne sait jamais si l'on sera directement touché.
Vous avez un jeune enfant. Pourquoi avez-vous entrepris ce voyage en Ukraine?
Cela fait partie de mon travail en tant directrice de la Croix-Rouge suisse. Nous nous engageons de manière impartiale pour les personnes qui ont besoin de nous, y compris lors des conflits armés. A titre personnel, je dois également être capable de bien percevoir la situation dans un pays. J'ai choisi l'Ukraine comme première destination hors de Suisse parce que c'est là que nous avons notre plus grand engagement à l'étranger et parce que la situation politique actuelle est en pleine évolution.
Qu'est-ce qui vous a le plus surpris?
D'un côté, il y a un certain sentiment de normalité: la vie doit continuer malgré le conflit. Et pourtant, pratiquement chaque famille est touchée par la guerre: un père a perdu la vie, un frère n'est plus là, des proches ont fui... L'avenir est incertain. Mais ils font preuve d'une incroyable résilience.
Quelle va être la suite des événements?
J'aimerais aussi avoir une réponse à cette question. Bien sûr, tout le monde espère une paix durable. Les dernières discussions politiques au niveau mondial laissent espérer des évolutions prochaines vers une amélioration. Une détérioration de la situation ne peut toutefois pas être exclue.
Dans quelle mesure?
Des personnes continuent de mourir sur le champ de bataille ou d'être attaquées dans leur maison. Des bâtiments qui viennent d'être reconstruits sont à nouveau pris pour cible. S'il se passe quelque chose sur le plan politique, il peut se passer encore beaucoup de choses sur le plan militaire, ce qui pourrait engendrer des victimes supplémentaires. Il est donc d'autant plus important d'accorder l'attention nécessaire au droit international humanitaire: même en cas de guerre, il existe des règles pour protéger la population civile. Il faut les respecter.
Trump, Poutine et Zelensky se sont mis d'accord pour mettre fin aux attaques contre les installations énergétiques. Est-ce un premier pas vers un cessez-le-feu?
Nous saluons tous les pas vers un cessez-le-feu. Les gens ont besoin de répit face à cette violence. Je ressens toutefois un grand scepticisme sur place quant à la possibilité d'en arriver là.
Faut-il s'attendre à ce que les réfugiés de Suisse retournent bientôt en Ukraine?
Je ne sais pas à quelle vitesse le conflit va se résoudre. C'est uniquement de cela que dépend un éventuel retour. Dès la fin des combats, les réfugiés reviendront de l'étranger, les gens voudront à nouveau se déplacer en interne et les vétérans devront retrouver leurs marques en société. Cela ne sera possible que si un cadre économique et social équitable est mis en place.
De nombreux politiciens suisses estiment que les Ukrainiens doivent rentrer dès aujourd'hui...
Actuellement, un retour rapide des réfugiés ukrainiens n'est pas réaliste. La situation est trop incertaine. Il arrive que des gens rentrent volontairement. Cette décision est souvent motivée par des raisons familiales, par exemple parce que des parents doivent être soignés, ou parce qu'une région est considérée comme relativement sûre. Pour la Croix-Rouge suisse, un traitement digne de chaque être humain est primordial.
Le Parlement suisse a décidé de limiter l’éligibilité au statut S aux ressortissants des régions occupées ou attaquées par la Russie. Quel est votre avis?
Lorsque nous parlons de sécurité, nous ne devons pas sous-estimer la dimension psychologique. Dans l'ouest de l'Ukraine aussi, les gens souffrent des conséquences du conflit. Même si la région semble sûre à première vue, il y a un facteur de stress. Nous le remarquons dans les projets que nous avons dans cette partie du pays. Ici aussi, de nombreux jeunes hommes sont morts ou portés disparus et les enfants sont parfois forcés de suivre leurs cours en ligne.
Les dons pour l'Ukraine en provenance de la Suisse ont diminué. Cette Suisse riche et pacifique s'est-elle lassée de cette guerre?
En 2022, les dons pour l'Ukraine étaient effectivement plus nombreux qu'aujourd'hui. Pourtant, les besoins sont toujours aussi importants. Il ne s'agit pas seulement d'une aide d'urgence, mais aussi de soutenir les gens à moyen et long terme. Je pense à cette vieille dame dans l'ouest de l'Ukraine qui a été marquée par la Seconde Guerre mondiale et qui vit aujourd'hui un nouveau conflit. Sans la Croix-Rouge, personne ne s'occuperait d'elle.
«Tant qu'il y aura Poutine, il n'y aura pas de paix.» Cette phrase, vous l'avez entendue lors de votre voyage…
J'ai également entendu la phrase suivante: «Seul Dieu sait quand il y aura la paix.» Personne, pas même le président Trump, ne sait quand il y aura une paix réelle et durable en Ukraine. La Croix-Rouge se battra chaque jour pour cela.