Bien sûr, cette thèse n’est guère évoquée. L’heure est au rouleau compresseur américain, conduit par un Donald Trump prêt à tout pour imposer un rapport de force commercial favorable aux États-Unis. Résultat: Les pays européens vont être soumis à des droits de douane, «seul moyen» pour les Etats-Unis «d’être traités correctement», a averti mardi 21 janvier le président, lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche. Mais la bataille est-elle déjà perdue? La réponse est non. Mieux: elle pourrait même se retourner contre Donald Trump. A condition de répondre à son offensive avec les bonnes mesures.
Un chiffre tout d’abord, essentiel pour comprendre les intentions du Président des États-Unis. Il s’agit du déficit commercial de la première puissance mondiale envers les 27 pays membres de l’Union européenne: 156 milliards d’euros en 2023, soit un peu plus de dix milliards par mois.
Les importations européennes les plus importantes proviennent de quatre pays: l’Allemagne (avec, en tête, la question de l’automobile qui obsède Trump), la France (agroalimentaire et produits de luxe), l’Italie (agroalimentaire, luxe, chimie et machines-outils) et l’Irlande (Informatique assemblée dans les usines américaines délocalisées sur le sol irlandais). Il faut donc, pour que Trump puisse sortir victorieux de ce bras de fer commercial, que ce déficit diminue fortement, voire qu’il disparaisse. Ce que les tarifs douaniers «Made in USA» ne permettront pas d’obtenir à coup sûr.
Un premier mandat pas concluant
La leçon à tirer du premier mandat de Donald Trump est en effet que ses attaques verbales ont des effets limités. Entre 2016 à 2020, le déficit commercial des États-Unis avec l’UE avait malgré tout continué de croître, passant de près de 114 milliards d’euros en 2016 à environ 152 milliards d’euros en 2020, soit une hausse de 33%. C’est au contraire la présidence Biden qui l’a stabilisé. La raison? L’attitude des consommateurs américains d’une part, friands de produits «Made in Europe» (notamment dans l’agroalimentaire), et l’absence d’alternative «Made in USA» d’autre part.
Le secteur le plus vulnérable aux hausses de tarifs est a priori l’automobile, qui bénéficie depuis 2020 de l’exemption des droits de douane sur l’acier (25%) et l’aluminium (10%) décidée par Joe Biden. Cette décision, justifiée par la nécessité d’accélérer la transition écologique, était en réalité la conséquence d’un rapport de force commercial pas si favorable que cela aux États-Unis, dont les exportateurs avaient été fortement impactés par la mise en place de droits de douane sur un éventail de produits américains, allant des motos Harley-Davidson au whisky.
Le marché européen
La deuxième leçon à garder en tête, rappelée par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen au Forum de Davos, est que l’UE dispose d’un marché plus important que les États-Unis et le Canada réunis (450 millions de consommateurs contre 380).
Une redynamisation de ce marché, comme cela a été suggéré par les deux rapports récemment présentés par les anciens Premier ministre italiens Enrico Letta et Mario Draghi, peut donc relancer la compétitivité des entreprises européennes. «Nous nous attacherons en priorité à accroître la productivité en comblant les écarts en matière d’innovation; élaborer un plan conjoint pour la décarbonation et la compétitivité; remédier aux pénuries de compétences et de main-d’œuvre; et réduire les formalités administratives», a-t-elle déclaré.
Et d’ajouter: «Cette stratégie a pour but de permettre une croissance plus rapide, plus propre et plus équitable, en veillant à ce que tous les Européens puissent bénéficier des évolutions.» Le paradoxe est que Trump, en attaquant l’Europe sur le plan commercial peut, en théorie, contribuer à accélérer son intégration et ses performances.
Troisième paramètre à retenir: Donald Trump veut, à la fois, vendre le plus d’hydrocarbures possible au reste du monde, et relancer l’économie américaine en multipliant les forages pétroliers. Cela tombe bien d’un côté, car l’Union européenne a besoin d’énergie pour remplacer le gaz russe. L’UE est déjà le plus gros importateur de gaz liquéfié (GNL) au monde avec plus de 120 milliards de mètres cubes en 2023. Les principaux importateurs de GNL dans l’UE sont la France, l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et l’Italie. Elle peut donc augmenter ses importations, à condition de construire de nouveaux terminaux gaziers. L’Union en compte aujourd’hui 57, dont 14 sont des installations offshore et plusieurs sont en construction.
La difficulté, pour Trump, est que les produits «Made in USA» pourraient tomber sous le coup de la taxe carbone européenne s’ils sont trop énergivores. Le président américain doit donc trouver le bon «mix douanier», pour ne pas pénaliser in fine son secteur industriel, au détriment des entreprises européennes qui, ayant accès à l’énergie, pourront produire davantage.
A long terme
Dernier élément enfin: la guerre commerciale se joue aussi sur le terrain de l’armement. Là, Donald Trump dispose d’une autoroute commerciale et d’un moyen de pression imparable: la garantie de sécurité américaine. En clair: plus question de protéger automatiquement les alliés qui n’achètent pas des armes produites aux États-Unis. Cela peut, et va fonctionner à coup sûr. Mais attention aux contradictions. Trump affirme être hostile à la guerre.
Il veut être un «faiseur de paix» et renoncer à tout interventionnisme. Les pays européens ont donc objectivement intérêt à doper leurs programmes de défense pour produire ensemble. Il est toutefois peu probable que les résultats de ces partenariats industriels européens à venir soient tangibles avant la fin du mandat de Trump, en janvier 2029. Les géants américains de l’armement ont a priori quatre belles années devant eux. L’ancien magnat de l’immobilier n’aura pas de mai à se reconvertir en premier marchand d’armes au monde.