Leur duel est celui que toute l’Amérique attend. Et pas seulement l’Amérique! Les Européens croisent les doigts pour que ces deux-là s’affrontent et se neutralisent. Les Chinois et les Russes redoutent l’alliance du pouvoir politique et technologique que ce tandem représente.
Je suis à Austin, la capitale du Texas, où Kimbal Musk, le frère d’Elon, se prépare à inaugurer un restaurant «fusion» qui, promet-il, deviendra l’adresse gastronomique la plus courue de cet Etat où cuisine rime d’ordinaire avec tortillas, empanadas et quesadillas. C’est là que j’ai choisi de terminer ce périple américain. Parce que tout est résumé, dans cette ville où les gratte-ciel ont, depuis quatre ans, poussé comme des champignons: le défi lancé par Elon Musk à ses pairs milliardaires de la Silicon Valley, la volonté de Donald Trump de transformer la frontière mexicaine en forteresse, et la probabilité de voir l’homme le plus riche et l’homme le plus puissant du monde régler, demain, leurs comptes devant la planète entière.
Trump nous parle, Musk nous paie
Austin pourrait bien être leur champ de bataille. Car ici, sur les parterres soignés qui entourent le Capitole Texan, les partisans de Trump et de Musk se déchirent déjà. Les premiers, ultra-majoritaires dans les Comtés ruraux d’un Texas plus rouge que jamais (la couleur du Parti républicain), ne jurent que par le slogan MAGA «Make America Great Again», qu’ils reprendront à coup sûr ce lundi 20 janvier, lors de la cérémonie d’investiture de l’ancien promoteur new-yorkais à Washington.
Vidéo: Catianne Tijerina
Ils sont fermiers, ouvriers, contremaîtres, mais aussi chefs d’entreprise. Ils ont voté Trump parce qu’ils sont Texans et que dans ce «Lone Star State», la force l’emportera toujours. Jadis, le Texas était bleu, version Lyndon Johnson le président qui succéda à JF Kennedy après son assassinat à Dallas, le 22 novembre 1963. Johnson était un «rancher». Sa ferme, dans le Comté de Gillespie, est aujourd’hui un parc national ouvert aux visiteurs. Johnson fut l’homme de l’enlisement au Vietnam. Il fut aussi un vrai réformateur social. Il savait parler aux Texans. Comme Trump: «Tout ce qu’il dit est compréhensible note le garde de sécurité qui fait les cent pas devant le futur restaurant de Kimbal Musk. Trump nous parle, Musk nous paie: ça me va…»
Les partisans d’Elon Musk sont bien moins visibles. Ils se cachent dans les condominiums d’Austin, ces immeubles résidentiels où affluent, depuis que le patron de X, Space X et Tesla s’est installé ici, tous les cadres de son empire. Peter est un américain d’origine asiatique. Je l’interpelle alors qu’il revient d’aller cherche son «mug» matinal de café. Il est ingénieur. Il bosse «dans la logistique» pour Starbase, le camp spatial de la galaxie Musk, à Boca Chica.
75 Texans au Capitole
Peter n’a rien du Trumpiste de base. Il n’aime pas être assimilé aux 75 Texans arrêtés, le 6 janvier 2021, parmi les 900 assaillants du Capitole, à Washington. Il n’a peut-être même pas voté Trump le 5 novembre, mais il refuse d’en dire plus. Je l’ai interrogé sur le tandem Trump-Musk. Réponse? «C’est l’alliance du progrès, de l’argent et de la force. L’Amérique a toujours fonctionné comme ça. Qui l’emporte à la fin? Plutôt celui qui détient la force, non?».
J’ai montré à Peter la photo du buste d’Elon Musk, impossible à rater, sur la route de Boca Chica. Culte de la personnalité? Le porte-parole du Gouverneur Greg Abbott n’a pas répondu à nos emails sur Elon Musk, envoyés pourtant après un échange téléphonique. Il préfère nous parler de tout ce que l’Etat fédéral doit faire, selon lui, pour regagner la confiance des Texans. Traquer les trafiquants de Fentanyl, le fameux opioïde fabriqué à partir de composants chimiques importés de Chine. Chasser les immigrants illégaux. Le Texas est, au fond, à l’image des Etats-Unis de 2025. Elon Musk y est un héros, dont les subsides sont bienvenus. Mais c’est Trump que l’on attend: «Le Texas est mieux placé que tout autre Etat pour aider le président élu Donald Trump à mettre en œuvre son ambitieux programme anti-immigration. Mais il est également vulnérable aux effets de cette politique», titrait ces jours-ci le «Texas Tribune».
Les Texans sont réputés réalistes. Croient-ils que Trump va changer les Etats-Unis? «Non s’énerve Jill Hawkins, une avocate afro-américaine basée à Houston. Ceux qui le soutiennent espèrent surtout toucher les dividendes de sa politique économique. Le Texas est un Etat producteur d’hydrocarbures. Ici, entendre 'Drill baby Drill' (Fore bébé, fore, le slogan de Trump qui promet de relancer l’industrie pétrolière), cela résonne.»
Le complexe secret de Musk
Et Musk? «Pour lui, c’est différent. Beaucoup de gens ne le comprennent pas. C’est une sorte d’Ovni.» Un Ovni avec les poches bien pleines. Le fondateur de Tesla aurait récemment acquis un complexe secret pour 35 millions de dollars à Austin, selon le «New York Times». Il s’agirait de trois manoirs situés à dix minutes à pied les uns des autres pour y loger ses onze enfants, tandis que leurs mères résideraient à proximité. «Musk prend un maximum de risques, nous a confié un journaliste du 'Texas Tribune'. Cela pourrait aussi mal finir. Qui dégainera le premier: Trump ou Musk?»
Mal finir? Comment? Un mot revient chez les experts: antitrust. Plusieurs fois dans l’histoire, le gouvernement fédéral américain a fini par démanteler des empires industriels trop puissants. Or les deux nominés de la future administration Trump pour gérer ses dossiers, au Département du Commerce et de la Justice, Andrew Ferguson et Gail Slater, ne sont pas fanatiques d’Elon Musk. «Ces deux personnes sont issues de l’aile populiste du Parti républicain, qui a exprimé son scepticisme à l’égard des grandes entreprises technologiques et d’autres grandes sociétés, notait récemment le cabinet d’avocats Perkins Coie. Cela constitue une rupture par rapport aux anciens responsables républicains de l’application de la législation antitrust.» Et de rappeler le communiqué de Donald Trump qui accompagnait leur nomination: «Big Tech s’est déchaînée pendant des années, étouffant la concurrence dans notre secteur le plus innovant et, comme nous le savons tous, utilisant son pouvoir de marché pour réprimer les droits de tant d’Américains, ainsi que ceux de Little Tech!»
Un encouragement pour Elon Musk, chargé de couper dans les dépenses publiques fédérales à la tête du futur «Department of Government Efficiency». Ou bien un avertissement déguisé de la part du 47e Président des Etats-Unis?