L'Amérique MAGA, Day One (1/3)
Ce que j'ai découvert le long du mur de Trump, sur la frontière mexicaine

C'est fait. Ce lundi 20 janvier 2025, Donald Trump redevient président des Etats-Unis. Avec, parmi ses promesses prioritaires, le renvoi expéditif des migrants illégaux. Reportage au Texas, le long du fameux mur et du Rio Grande.
Publié: 17.01.2025 à 21:16 heures
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Dernière mise à jour: 08:08 heures
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A terme, le mur construit le long de la frontière mexicaine au Texas devrait être long de 1254 miles.
Photo: Richard Werly
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Richard WerlyJournaliste Blick

Deux Amériques. Et un seul 47e président des Etats-Unis. Lorsqu’il prêtera serment lundi 21 janvier sous la coupole du Capitole à Washington, les ouvriers agricoles latino-américains de la région de Brownsville, au sud du Texas, seront sans doute rivés devant un écran de télévision.

Miguel, contremaître dans une ferme frontalière, adossé au Rio Grande, me l’a promis en novembre, lorsque je l’ai rencontré au pied du mur qui, à terme, devrait être hérissé sur des milliers de kilomètres. «On n’a pas peur de Trump. Ce qu’on redoute, c’est qu’il transforme nos prairies en zone de guerre. J’écouterai chaque mot de son discours d’investiture».

Deux Amériques. L’une, celle de Trump, est résolue à appliquer à la lettre toutes les promesses faites par le candidat républicain durant sa campagne victorieuse. Cette Amérique-là ne jure que par un slogan, MAGA, le fameux «Make America Great Again», dont l’une des priorités est d’expulser massivement les migrants clandestins.

Rien qu’au Texas, où la frontière avec le Mexique voisin s’étire sur 1254 miles (près de deux mille kilomètres), la traque aux illégaux, si elle a lieu, pourrait conduire à la déportation de plus d’un million d’hommes et de femmes. Tandis, qu’en parallèle, les travaux de construction du mur reprendront de plus belle.

Border Police, Douanes, State Patrol

L’autre Amérique, celle que j’ai arpentée en novembre, de Brownsville à Rio Grande, la ville qui porte le même nom que le fleuve, est celle qui vit, au quotidien, sur cette frontière présentée comme la menace la plus dangereuse qui soit pour les Etats-Unis. J’ai circulé pendant des jours, en voiture, le long de ce mur constitué de lames de fer plantées à moins d’un mètre l’une de l’autre, et souvent doublée, coté Mexique, d’une rangée de barbelés.

Reportage à Brownsvill où trône le mur de Trump
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Blick in the USA:Reportage à Brownsvill où trône le mur de Trump

J’y ai croisé les patrouilles de la Border Police, dont les lourds véhicules débarquent à la moindre alerte, signalée par les caméras de surveillance et les drones qui épient, de jour et de nuit, les moindres faits et gestes. J’y ai été interpellé par les douanes, et par la «State Patrol», la police texane. Va-t-on vers une guerre migratoire, à laquelle se préparent les milices d’extrême-droite, armés jusqu’aux dents, du côté des points de passage les plus empruntés comme Eagle Pass, plus à l’ouest, en direction de l’Arizona?

Ce que j’ai vu au Texas est l’envers du décor. Donald Trump a promis des centres de rétention, une mobilisation de la Garde nationale dans les Etats concernés, des convois de migrants expulsés. Le fera-t-il? Signera-t-il, dès ce lundi, les décrets d’expulsion? Miguel, le contremaître, Mexicain en situation légale, me montre sur son téléphone portable l’application CBP One qui permet de prendre rendez-vous pour déposer une première demande de séjour, puis d’en suivre le traitement.

Filet électronique

C’est cette application mobile qui, selon Donald Trump, a tout fait dérailler depuis sa première mise en ligne, en septembre 2020. Depuis janvier 2023, CBP One a permis à près de 900'000 personnes de se présenter aux points d’entrée, d’être contrôlées et de demander l’asile, selon l’administration Biden. Or pour ce faire, tous les candidats ont entré leurs données, les informations sur leur famille, leur point de contact: «C’est comme un énorme filet électronique, complète Miguel. Trump a là toutes les infos pour cueillir dans leur lit des dizaines de milliers de familles pas encore acceptées ou déboutées.»

J’ai longé le mur que le gouverneur républicain du Texas Greg Abbott, un ardent supporter de Donald Trump, a promis de terminer. Et je comprends que ce chantier est aujourd’hui avant tout une démonstration de force médiatique. 100 miles, sur les 1254 miles de la frontière, seront achevés fin 2025! Moins d’un dixième de la longueur requise! Coût prévu de l’opération: vingt milliards de dollars.

Les trous dans le mur

A coup sûr, Donald Trump va taire ces chiffres lorsqu’il prendra ses fonctions à la Maison Blanche. Tout comme il ne parlera sans doute pas de ce que j’ai vu au Texas: des trous dans ce mur, liés aux terrains toujours possédés le long du Rio Grande, le fleuve frontière, par des exploitants agricoles américains qui font monter les enchères. Pas d’accord pour être expropriés sans ménagement par l’administration texane.

Dans le Texas Tribune, le journaliste Jasper Scherer a fait le calcul: au rythme actuel – en supposant que les autorités parviennent à persuader tous les propriétaires privés de céder leur terrain à l’Etat – il faudrait environ 30 ans pour en achever la construction. Plus que ce que demande Elon Musk pour envoyer des astronautes sur la planète Mars!

Ce que vont devenir ces terres agricoles fertiles, irriguées par le Rio Grande? Greg Abbott en a donné un premier aperçu le 20 novembre, deux semaines après l’élection triomphale de Donald Trump. Pourquoi ne pas y regrouper, dans des camps provisoires, les migrants refoulés? Les portions de mur construites serviraient alors, non à protéger les Etats-Unis de l’afflux de migrants, mais de murs d’enceinte pénitentiaires. 567 hectares ont déjà été identifiés par le Texas General Land Office. L’idée serait d’y construire des baraquements pour «le traitement, la détention et la coordination de la plus grande déportation de criminels violents de l’histoire de la nation».

Ne pas provoquer les Texans

Joey Lopez est l’un des élus du Comté de Cameron, dont Browsnville est le siège. Il nous explique comment cela fonctionnerait: «Les déportés seront installés entre le mur et la rivière. S’ils s’enfuient, pas grave, puisqu’ils ne pourront partir qu’au Mexique. On peut faire cela sur plusieurs portions de territoire où le mur est déjà construit».

Avantage de cette solution: ne pas faire entrer la nouvelle administration en conflit avec les propriétaires de terrains non encore bordés par le mur. «Le pire serait que des fermiers qui ont voté Trump, attachés au respect de la propriété privée, se mettent à empêcher les forces de l’ordre d’y accéder, complète Joey Lopez. N’oubliez pas que tout le monde est armé au Texas. Ça ferait désordre. Mieux vaut obtenir des résultats autrement.»

Faire partir ces criminels

D’où l’idée de se concentrer sur les terres déjà acquises par l’administration: «Aujourd’hui, il s’agit essentiellement de terres agricoles, donc plates, sur lesquelles il est facile de construire. Nous pouvons très facilement y installer un centre de détention», a plaidé Dawn Buckingham, commissaire à l’aménagement du territoire du Texas, devant les caméras de Fox News. Objectif: «Démontrer que nous, Texans, sommes 100% d’accord avec la promesse de l’administration Trump de faire sortir ces criminels de notre pays».

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