Dark Vador, «Made in USA»?
Vous avez une Tesla? Vous êtes le cobaye de l'Etat voulu par Elon Musk

Rendez-vous à Austin, la capitale du Texas dont Elon Musk a fait son quartier général. Faites vous jeter, comme moi, de l'immense «Gigafactory» (la mega usine) de Tesla, et vous aurez compris comment le milliardaire voit l'Etat et le monde: en liberté conditionnelle.
Publié: 07.01.2025 à 16:56 heures
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Elon Musk veut faire de Tesla la voiture connectée de nos futures sociétés, entièrement automatisées.
Photo: IMAGO/USA TODAY Network
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Richard WerlyJournaliste Blick

Faites comme moi: faites-vous jeter manu militari par des gorilles peu sympathiques du périmètre de la «Gigafactory» Tesla d’Austin, au Texas, et vous aurez compris ce que la société et l’Etat voulus par Elon Musk signifient! Je revenais pourtant, plutôt conquis, de la «Starbase» de Brownsville, la base de lancement spatiale de Space X. Je venais de passer, en plein centre de la capitale du Texas, à quelques minutes à pied de son Capitole, devant le restaurant «fusion» que compte ouvrir, d’ici la fin janvier, son frère Kimbal. Je commençais à croire qu’Elon Musk (53), l’homme le plus riche du monde, est avant tout un milliardaire visionnaire, emporté par ses passions libertariennes. Et voilà que l’autre visage de son Empire m’est apparu. Dark Vador «Made in USA»


Le méchant de «La guerre des étoiles» est tout entier vêtu de noir, casqué, incarnation supposée du mal et de l’oppression. Le type qui s’avance vers moi, ce 20 novembre sur le parking de l’usine géante du constructeur automobile Tesla, est plutôt la copie conforme des mercenaires américains qui accomplissaient toutes les sales besognes en Irak.

Taser bien en vue

Une sale tête. Un holster avec un taser bien en vue, pour paralyser tout contrevenant à coups de décharge électrique. Je me trouve pourtant, à ce moment-là, dans le local réservé à l’information publique (Public Information) de l’usine en question. Je viens de me présenter, carte de presse à l’appui, à l’une des jeunes femmes cachées derrière leur écran, dans ce préfabriqué situé à l’extérieur de l’usine, dans un immense parking. J’ai, auparavant, pris en photo les montagnes de moteurs et de batteries entreposés dans ce parking, débarqués d’énormes camions arrivés de l’autoroute via la Tesla Road, la route Tesla. Ma voiture de location est garée à l’extérieur. Mais dans l’univers de Tesla, tout est surveillé, contrôlé, fiché, trié.

Elon Musk alarme ces jours-ci les gouvernements européens par ses ingérences politiques décomplexées, via ses posts sur son réseau social X. Il réclame ouvertement la démission du premier ministre travailliste britannique Keir Starmer, pourtant vainqueur démocratiquement à l’issue des législatives de juillet 2024. Il soutient le parti national populiste «Reform UK», tout en estimant que son leader actuel, le chantre du Brexit Nigel Farage, n’est pas à la hauteur.

Tesla, la voiture contrôlée de A à Z

Musk propose aussi aux Allemands de voter pour le parti d’extrême droite AFD, aux relents néonazis. Qu’est-ce que tout cela a à voir avec Tesla, ce constructeur automobile qui a vendu 1,8 million de véhicules sur le Vieux Continent en 2024? Et bien beaucoup de choses. Le rêve d’Elon Musk est une voiture entièrement automatisée, connectée, télécommandée, dont sa firme maitrisera de A à Z la «télémétrique», les données numériques indispensables à son guidage et à son fonctionnement. Le milliardaire s’est d’ailleurs félicité, après l’explosion criminelle d’un cybertruck Tesla devant l’hôtel Trump de Las Vegas le 1er janvier, de tout savoir sur cet attentat grâce à ses données.

Tesla est bien plus que le fleuron industriel d’Elon Musk, ce milliardaire qui, contrairement à la légende, n’a pas inventé ces voitures nommées à partir du génial inventeur Serbo-américain, Nikola Tesla (1856-1943). Le constructeur est le fruit de deux ingénieurs, Martin Eberhard et Marc Tarpenning, que Musk a secouru financièrement avant de les éjecter de leur propre compagnie et d’en prendre le contrôle. Le journaliste qui a le plus décortiqué les dessous texans de l’Empire Musk est Lawrence Wright, du «New Yorker», basé à Austin.

Tesla, l’Etat télécommandé

Pour cette grande plume américaine, l’affaire est entendue: obsédé par sa volonté de prendre sa revanche sur la Silicon Valley, à l’aise avec les valeurs ultra-conservatrices et libertariennes du Texas, Elon Musk veut réformer l’Etat américain à l’image de son fleuron industriel. Comment? «En connectant tous les fichiers et les administrations fédérales, en recourant le plus possible à l’intelligence artificielle, écrit l’intéressé. Les Tesla sont fabriquées par des robots. L’usine d’Austin est l’une des plus automatisées au monde. Elle préfigure l’Etat, version Elon Musk».

Traqué par un drone

Mon incident sur le parking de l’usine Tesla est révélateur. Un gardien me l’avouera: j’ai été repéré par les caméras de surveillance alors que je tournais avec ma voiture autour du parking, sur la voie publique. Les drones qui survolent en permanence le complexe industriel sur lequel flottent les drapeaux des Etats-Unis, du Texas et de Tesla, m’ont aussi localisé.

Aussitôt, ma signalisation a été envoyée à l’un des postes de garde. Exit, le premier vigile qui m’avait indiqué le local de l’information publique. Une escouade de gorilles est arrivée peu après. Ils pourraient être habillés comme les clones de Dark Vador, car ils se comportent comme tels. Mutiques. Robotiques. Les images de «La guerre des étoiles» reviennent vite en tête.

Je garde en mémoire ma discussion avec l’un des geeks, installés en permanence près du site de Space X, à Boca Chica, à 500 kilomètres plus au sud du Texas. «La clé de l’Empire Musk, c’est Tesla. Cette voiture préfigure tout ce qu’il veut faire sur Mars, mais aussi sur terre. Le design géométrique du «cybertruck» correspond à sa vision du monde. Ce sont des Tesla qui rouleront demain ou après-demain sur la Lune ou sur Mars. Les futurs astronautes seront reliés par la «Télémétrique Tesla» grâce aux processeurs qu’il rêve d’implanter dans nos cerveaux via sa start-up Neuralink».

Le plus étonnant est que notre interlocuteur, dans les sables de Boca Chica, se réjouissait de cette perspective. Il était en adoration devant tant de progrès. Pas comme Edward Verona, un consultant de l’Atlantic Council rencontré sur place, à Brownsville: «Tout ce que Musk fait a une dimension redoutable, inquiétante, terrible pour nos institutions. Si on l’oublie, on passe à côté de l’essentiel».

Tesla, au cœur de la machine Musk

Je me suis fait jeter de l’usine Tesla d’Austin, et ce n’est pas bien grave. Pas grave du tout même. Un journaliste pourrait aussi se faire jeter d’une usine BMW, ou Renault, par des vigiles obtus. C’est l’envers du décor qui inquiète, de la part d’un homme, Elon Musk, qui jure d’amputer le budget fédéral américain de deux mille milliards de dollars sur les six mille milliards de dépenses publiques annuelles. Pas de service de presse à proprement parler dans cette usine. Aucune interaction avec le public. Aucune information disponible. Un périmètre entièrement privatisé, qui échappe à la juridiction de l’Etat du Texas et du Comté de Travis, trop heureux d’engranger les millions de dollars d’impôts et d’afficher des dizaines de milliers de créations d’emploi.

«Musk est déjà hors de contrôle»

«A Austin, Musk est déjà hors de contrôle. Aucune autorité ne peut s’opposer à lui écrivait, juste avant l’élection présidentielle de Donald Trump le 5 novembre 2024, le quotidien Houston Chronicle. L’épidémie de Covid (il s’est installé dans la ville à cette époque et a fait construire un ranch pour abriter toute sa famille, y compris les différentes mères de ses onze enfants) et sa lutte acharnée contre les droits des transgenres (qu’il accuse d’avoir tué son fils Xavier, devenu une fille prénommée Vivian) l’ont installé comme une sorte de potentat d’ultra-droite».

Vous êtes propriétaire d’une Tesla? Vous rêvez d’en acheter une? Aucun problème. Mais à Austin, au Texas, dans le secret de la méga-usine que l’on m’a interdit de visiter, les ingénieurs d’Elon Musk ont, grâce à l’exploitation future de la connectivité de ces véhicules «propres» aux performances électriques incontestables, des projets encore secrets. Qui nous impacteront tous. Ainsi que nos sociétés, nos Etats et (probablement) nos démocraties.

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