Le Roi-Soleil, c’est lui. Et il n'a pas tardé à le prouver, sous le ciel bas et gris de la venteuse soirée parisienne, ce samedi 7 décembre. Débarqué à l’aube à l’aéroport d’Orly, le président élu des États-Unis est arrivé au palais de l'Élysée avec plus de quarante minutes de retard sur le programme, à 16h41 au lieu de 16 heures, pour sa rencontre bilatérale avec Emmanuel Macron. Une rencontre présentée par les autorités françaises comme la preuve de l'excellence des relations entre Paris et Washington, en ouverture de ce week-end de cérémonie, pour la résurrection de Notre-Dame de Paris, après cinq ans et demi de travaux.
Roi-Soleil? Le terme convient bien pour désigner Donald Trump à Notre-Dame, ce lieu qui accueillit, en 1663, la rencontre le roi Louis XIV et les représentants des treize cantons suisses. La célèbre cathédrale, dont la première pierre fut posée le 24 mars 1163 par le pape Alexandre III, a toujours été un monument au cœur de la politique et du pouvoir en France. Et Trump était à son chevet, devant sa télévision, lorsque l’incendie des 15 et 16 avril 2019 l’a ravagé, après avoir appris la catastrophe dans son avion Air Force One. Il avait même alors proposé hâtivement une solution que tous les experts ont rejetée, car elle aurait pu provoquer l’écroulement de ce joyau de l’architecture gothique: le largage de cargaisons d’eau par avion pour éteindre les flammes. Il avait ensuite renchéri, suggérant l'intervention de Trump Organization, son empire immobilier. Proposition également rejetée.
45’000 donateurs américains
Pas de journée ensoleillée au sens propre, toutefois, pour le futur président des États-Unis qui sera investi à Washington le 20 janvier 2025. C’est dans une capitale française balayée par les vents d’une tempête qui a commencé à déferler ce samedi, que Donald Trump a donné l'accolade sur le perron de l'Élysée au président français. Un moment bref, et une poignée de mains baroque, rapide, sans signe de fraternité visible. Message clair: priorité, pour Trump à la visite de l'édifice reconstruit auquel ses compatriotes sont très attachés. Le rêve français d'un grand moment diplomatique avec le président ukrainien Zelensky, lui aussi présent à Paris, semble mal parti pour être exaucé par une Chef de l'État américain qui repartira dans la nuit.
La générosité des États-Unis, en revanche, est au rendez-vous de ce premier déplacement de Trump à l'étranger depuis son élection, le 5 novembre. 45’000 donateurs installés de l’autre côté de l’Atlantique ont versé leur obole pour faire renaître Notre-Dame. Un geste financier très important, puisque 60 millions d’euros, sur les 850 millions recueillis au total, viennent des États-Unis, pour la plupart perçus par l’Association «Friends of Notre-Dame de Paris».
L’archevêque catholique de la capitale française, Mgr Laurent Ulrich, a même envoyé sur place l’un de ses adjoints, pour y faire une série de conférences et tenir informé les donateurs des progrès du chantier. «Donald Trump peut presque affirmer que la nouvelle Notre-Dame, rénovée, reconstruite, est un peu américaine», juge le photographe belge Thomas Van Houtryve, qui a couvert les travaux pour le prestigieux magazine National Geographic. Un charpentier américain, Will Gusakov, a participé à la restauration de la fameuse «forêt», la charpente en bois de chêne.
Trump et les parisiens
Donald Trump est surtout la curiosité de la journée. Dès son arrivée samedi matin à l’Ambassade des États-Unis, place de la Concorde, en plein cœur de Paris, une foule de curieux s’est amassé dans l’espoir de le voir. Il y a rencontré le prince William du Royaume-Uni, pour partir tardivement, et sans aucune explication, vers le palais présidentiel de l’Élysée, où Emmanuel Macron l'attendait, un tantinet impatient et crispé, juste avant le président ukrainien Volodymyr Zelensky qui arrivera à 17 heures.
L’Ukraine, dossier géopolitique traité à l’ombre de Notre-Dame: c’est possible. L’ironie est que les trois hommes sont de confession différente. Emmanuel Macron est baptisé catholique depuis l’âge de 12 ans. Donald Trump, dont la famille est d’origine allemande, a été baptisé à la First Presbyterian Church, l’église presbytérienne du quartier de Jamaïca à Queens (New York) où il a grandi. Volodymyr Zelensky est juif, dans un pays très majoritairement orthodoxe.
Trump sera aux premières loges, un peu avant 19 heures, lorsque l’archevêque de Paris frappera de sa crosse les portes de Notre-Dame en prononçant ses paroles: «Portes, levez vos frontons, levez-les, portes éternelles: qu’il entre, le roi de gloire! Qui est ce roi de gloire? C’est le Seigneur, Dieu de l’Univers; c’est lui, le roi de gloire… » Les prendra-t-il pour lui avant de gagner sa chaise, sous la nef gothique qui ne rayonnera malheureusement pas de lumière naturelle, à la nuit tombée? Sollicitera-t-il le pardon divin pour Charles Kushner, le beau-père de sa fille Ivanka, qu’il vient de nommer comme prochain ambassadeur à paris alors que l’intéressé, promoteur immobilier, a été jadis condamné pour fraude fiscale puis emprisonné deux ans?
A l’intérieur de Notre-Dame
Toute la cérémonie se déroulera à l’intérieur par précaution. Emmanuel Macron, qui devait prendre la parole sur le parvis, s’exprimera finalement dans la cathédrale, bien qu’il soit le président d’une République laïque. Les deux hommes, et la quarantaine de chefs d’État ou dirigeants présents et invités (la Suisse, qui ne sera pas représentée officiellement, pourra toutefois se montrer fière du ténor franco-suisse Benjamin Bernheim, qui chantera lors de la soirée) achèveront leur visite de Notre-Dame vers 20 heures avant de se rendre au dîner officiel. Ils seront de nouveau conviés à la première messe célébrée dans la cathédrale, dimanche matin à 10 heures.
Trump roi de Paris? C’est en tout cas lui que tous les spectateurs qui ont bravé le mauvais temps veulent voir. «Peut-être vient-il chercher sa rédemption, lui qui a tant pêché dans sa vie?» interroge Lucienne, une catholique montée dans la capitale depuis sa ville de Toulouse. Lucienne s’est installée pour attendre, toute la journée, devant la préfecture de police de Paris située juste face au parvis de Notre-Dame où de grands écrans restent installés. Elle ne comprend pas que le pape François ne soit pas là ce samedi, même si une lettre de lui sera lue lors de la cérémonie.
Le pape François et Trump
Le souverain pontife avait reçu le président américain pendant une trentaine de minutes en avril 2017, et lui a offert un exemplaire de trois de ses écrits, dont l’encyclique «Laudato si», consacrée à la défense de l’environnement. On peut imaginer que cette fois, un échange aurait été plus compliqué.
Le pape François, fervent défenseur des migrants, a autrefois affirmé que le mur à la frontière américano-mexicaine «n’est pas chrétien». Lucienne nous regarde en souriant: «Trump va peut-être apprendre, ici, ce qu’il n’a jamais pratiqué: l’humilité devant la beauté de cette cathédrale.» Et de promettre, en rajustant son imperméable, qu’elle va «prier pour lui».