Notre-Dame de Paris: rien que ces mots suffisent à éveiller des souvenirs. Notre-Dame sous la plume du romancier Victor Hugo, avec le personnage de Quasimodo, gardien bossu du sanctuaire. Notre-Dame, lieu de pèlerinage puisqu’elle continent l’une des reliques les plus précieuses de la chrétienté: des fragments de la couronne d’épine du Christ, ramenés à Paris par le roi Saint-Louis le 19 août 1239!
Mais saviez-vous que la cathédrale la plus connue au monde, qui faillit disparaître dans l’incendie du 15 avril 2019, a aussi une histoire suisse? Voyage dans les secrets helvétiques de ce sanctuaire vers lequel les regards du monde entier vont se tourner ce week-end.
Notre-Dame et le «Vaudois» Viollet-Le Duc
Il faut le savoir: la «version» ressuscitée de Notre-Dame, celle que vous allez tous voir ce week-end sur vos écrans, ne ressemble pas à l’édifice original, construit à partir de 1163 et achevé en 1350! La cathédrale que le public va retrouver, après cinq ans de travaux ininterrompus, est celle que l’architecte Eugène Emmanuel Viollet-Le-Duc fut chargé de restaurer, entre 1845 et 1864.
A l’époque, la France est sous le choc. Le roman «Notre-Dame de Paris» de Victor Hugo, publié en 1831, a rendu célèbre cet édifice menacé de ruine, transformé en dépôt à vin sous la Révolution française. Né en 1814, Viollet-Le-Duc est l’un des restaurateurs de monuments les plus célèbres de son temps. C’est lui qui est derrière deux innovations majeures, encore contestées aujourd’hui: la reconstruction de la flèche de 93 mètres de haut – démontée au XVIIIe siècle car elle menaçait de s’effondrer – et la construction d’une sacristie, qui se révéla un gouffre financier.
Pourquoi parler de «Vaudois» lorsqu'on se réfère à Viollet-le-Duc? Parce que celui-ci est embauché, à partir de 1872, pour rénover la cathédrale de Lausanne. Il s’installe ensuite dans la ville, pour y étudier le massif du Mont-Blanc. Il y meurt le 17 septembre 1879.
Notre-Dame et les Gardes Suisses
«Le 7 de ce mois, Sa Majesté a donné au sieur Stoupe, la Charge de Colonel du Régiment des Gardes Suisses, en considération des grands services qu’il luy a rendus depuis plusieurs années en différents emplois». Cette lettre, écrite en vieux français en octobre 1685, atteste de la promotion du colonel Pierre Stoppa, noble catholique originaire de Soleure, comme officier supérieur des Gardes Suisses qui protègent alors le «Roi Soleil», Louis XIV.
Immédiatement, ce militaire (décédé en janvier 1701 et inhumé à l’hôtel-Dieu de Château-Thierry, dans l’Aisne, où son tombeau se trouve toujours) se rend à Notre-Dame de Paris pour y faire bénir les régiments helvétiques, en charge de la protection du monarque le plus puissant du monde. Pourquoi la cathédrale de Paris? Parce que c’est en ce lieu sacré que le roi a reçu le 18 novembre 1663 les ambassadeurs des treize cantons et leurs alliés.
Notre-Dame croisera à nouveau l’histoire des Gardes Suisses durant la fameuse nuit du 10 août 1792, lorsque ces derniers se font tailler en pièces par les révolutionnaires, alors qu’ils protègent le roi Louis XVI et sa famille dans son palais des Tuileries. Quelques dizaines trouveront refuge dans la Cathédrale. Avant d’en être extirpés, puis massacrés.
Notre-Dame de la Paix avec la Suisse
Une fameuse tapisserie représente la scène. L’un de ses exemplaires orne la salle de réception de l’Ambassade helvétique à Paris. Quel est l’objectif de cette fameuse réception des Ambassadeurs Suisses par le «Roi-Soleil», le 18 novembre 1663? Placer la paix perpétuelle signée le 29 novembre 1516 à Fribourg entre le Royaume de France et la Confédération des treize cantons suisses d’origine, sous protection divine.
Une fois entrés dans la Cathédrale, les ambassadeurs helvétiques jurent l’alliance les uns après les autres, avant que le roi prête serment à son tour en disant: «Et moi aussi, je jure et promets». Les catholiques ont été les plus prompts à se porter volontaires pour cette mission à Paris. Bâle et Zurich, villes protestantes, fermement opposées à l’alliance avec la France, ont pour leur part exigé de Louis XIV qu’il paie les arriérés de dettes avant de faire le déplacement. L’alliance avec les cantons évangéliques a finalement été conclue en 1658. Cinq ans plus tard, la paix de Soleure est signée. Puis le voyage à Notre-Dame, sur l'île de la Cité, scelle cette alliance.
Notre-Dame et sa charpente suisse
Vous avez sans doute entendu parler de la «forêt», cette charpente de chêne détruite par les flammes les 15 et 16 avril 2019, et reconstruite à l’identique ces cinq dernières années.
L’une des scieries qui a approvisionné le chantier en poutres est l’entreprise Corbat, dans le canton du Jura suisse. Le bois de chêne que son entreprise a taillé a servi, plus précisément, à la reconstruction de la flèche de la cathédrale, celle édifiée par l’architecte Viollet-Le-Duc, Vaudois d’adoption. L’entreprise familiale Corbat est la plus grande scierie de bois de chêne du pays, installée à Vendlicourt. Elle a été fondée il y a cent ans et possède un solide savoir-faire technique et artisanal.
Attention: les grumes sciées sur territoire helvétique provenaient de France. Le travail fourni l’a été gratuitement. «J’ai appris que l’Allemagne et l’Angleterre ont proposé leurs propres grumes de chênes, qui ont été refusées car les autorités françaises ne voulaient pas de bois étranger» a confié l’entrepreneur à Swissinfo.
Notre Dame, les Suisses et le Vietcong
Les 18 et 19 janvier 1969, trois Vaudois montés à Paris dans une deux chevaux Citroën accrochent un drapeau du Front national de Libération du Sud Vietnam (FNL – le Vietcong) sur la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris! Olivier Parriaux, Noé Graff et Bernard Bachelard sont tous trois des militants anticolonialistes très actifs dans les campagnes de dénonciation de la guerre américaine dans ce pays d’Asie du sud-est.
Après s’être laissés enfermer dans la cathédrale, ces trois grimpeurs aguerris parviennent à monter sur les toits, puis à hisser le drapeau sur la flèche. Le jour a été soigneusement choisi: il coïncide avec l’ouverture des pourparlers de Paris entre les diplomates Henry Kissinger et Le Duc Tho, récompensés en 1973 par le prix Nobel de la Paix (que le ministre vietnamien refusa).
«Il fallait choisi un lieu élevé. Pas la Tour Eiffel, mais un lieu chargé d’humanisme et respecté dans le monde entier, pas seulement en France. Nous avons décidé alors de préparer l’ascension de Notre-Dame, et d’étudier comment parvenir au sommet de la flèche du Viollet-le-Duc», ont-ils raconté dans leur livre «Le Vietcong au sommet de Notre-Dame».