Ils ont douté. Ils ont souvent dénoncé le calendrier «impossible». Cinq ans pour reconstruire Notre-Dame de Paris, ravagée par l’incendie des 15 et 16 avril 2019. Reconstruire? Bien plus que ça en fait. Dany Sandron est professeur d’histoire de l’art du Moyen Âge à l’université de Paris Sorbonne. Il sera présent, ce samedi, lors de la cérémonie officielle de réouverture de la cathédrale: «Jamais une telle rénovation n’aurait été possible en temps normal. Chaque recoin de Notre-Dame a été étudié, nettoyé, restitué tel qu’il était en 1864, lorsque l’architecte Eugène Viollet-Le Duc achève sa restauration. Or ils l'ont fait!»
Ce spécialiste de l’art médiéval a participé à la plupart des discussions d’experts, au fil du chantier, pour remettre sur pied ces 42'000 mètres carrés de murs et de voûtes. Il a plaisanté avec les fameux «compagnons du devoir» ces artisans émérites venus de toute la France, qui ont pris en main le destin de l’édifice. Alors, que peut-il en dire en ce jour de réouverture? «C’est un miracle humain. Leur miracle. Sans eux, Notre-Dame serait toujours en ruine», nous explique-t-il, sur le plateau de la chaîne France 24.
D’abord un général aux manettes
Philippe Jost, 64 ans, a été le chef de ce chantier dirigé d’abord, entre mai 2019 et août 2023, par un ancien Chef d’État-major particulier du président Jacques Chirac, le Général Jean-Louis Georgelin, décédé accidentellement en montagne, dans les Pyrénées. Philippe, comme tout le monde l’appelle dans les bâtiments préfabriqués qui restent encore accolés à la Cathédrale, près des derniers échafaudages à l’arrière du bâtiment, a travaillé main dans la main avec un homonyme: Philippe Villeneuve, 61 ans, l’architecte en chef des monuments historiques.
Le lien avec l’Église catholique
Le premier était le commandant en chef. Il dirigeait les opérations des centaines de travailleurs spécialisés, très qualifiés, présents en même temps sur place. Le second veillait à ce que rien ne manque, et surtout à ce que rien ne soit abîmé par la vitesse d’exécution des travaux. Les deux «Philippe» étaient présents dans l’enceinte de Notre-Dame, le 29 novembre, lorsque Emmanuel Macron les a tous remerciés. Ils ont aussi fait le lien avec l’Église catholique, qui ne possède pas l’édifice mais en est le responsable ultime. 170 évêques, 700 prêtres et 700 diacres (laïcs consacrés) officieront dimanche, lors de la première messe de cette résurrection. Leurs chasubles et autres étoles ont toutes été dessinées par Jean-Charles de Castelbajac, l’un des designers de mode les plus célèbres de France.
Impossible de les citer tous. Impossible, même, de citer dans un seul article tous les métiers mobilisés pour redonner vie à la cathédrale la plus célèbre du monde. Alors citons-en quelques-uns, dont les métiers restent inconnus du grand public, mais ont été indispensables à cette résurrection.
Didier Cuiset est l’un des meilleurs spécialistes mondiaux de la dentelle d’acier. C’est lui qui a eu la charge de revoir l’ensemble des vitraux. Lesquels n’ont pas été brisés lors de l’incendie, mais avaient grand besoin d’être entièrement démontés, nettoyés et réinstallés dans un nouvel écrin. Guillaume Bardet est fondeur de bronze. C’est lui qui a produit l’autel, le baptistère et le tabernacle, essentiels pour la liturgie catholique. Danaë Leblond-Joris est sculptrice sur pierre. Elle a 27 ans. C’est elle qui a repris, une par une, les fameuses gargouilles qui jaillissent des façades de Notre-Dame et recrachent l’eau des pluies.
Damien Berné est le conservateur du Musée de Cluny, là où se trouve l’âme des entrailles médiévales de Paris. Il est, lui aussi, fasciné par cette collection de compétences que beaucoup ne soupçonnaient pas. «La France a disposé, avec Notre-Dame de Paris, du plus beau des chantiers écoles. Tous ceux qui ont travaillé sur sa rénovation en garderont un souvenir toute leur vie.» Vous voulez une liste de ces métiers? Elle est longue, très longue.
Notre-Dame peut rouvrir ses portes ce samedi, et accueillir une quarantaine de Chefs d’État dont le président élu des États-Unis Donald Trump, parce qu’ils ont tous donné le meilleur, parfois jour et nuit. Charpentiers, couvreurs, tailleurs de pierre, cordistes (qui ont travaillé dans le vide pendant des semaines, suspendus à des dizaines de mètres de hauteur), facteurs d’orgues, restaurateurs de vitraux, serruriers, tapissiers, ébénistes… D’autres n’ont pas travaillé sur le site, sur les bords de la Seine. Les bûcherons qui ont coupé les chênes, par exemple, ont sillonné les grandes forêts françaises pour identifier les meilleurs arbres.
L’Archevêque catholique de Paris, Laurent Ulrich, sera sans doute l’un des plus émus ce samedi. Nommé en 2022 par le pape François, absent de cette cérémonie, il n’a jamais célébré de messe publique à Notre-Dame. C’est lui qui ouvrira les portes de la cathédrale, puis interrogera l’orgue qui lui répondra. Dans un silence religieux, les huit mille tuyaux de cet instrument unique se mettront au service de la musique sacrée. Il est certain que Donald Trump, le président élu américain, aura aussi la chair de poule. Notre-Dame ne peut laisser personne indifférent.
843 millions d’euros
843 millions d’euros ont été collectés pour financer la rénovation de la cathédrale. 340'000 donateurs ont contribué. Aux États-Unis, des comités «Sauver Notre-Dame» ont collecté près de 40 millions d’euros. A Paris, les Américains passionnés par la cathédrale ont créé l’association «Friends of Notre-Dame». Philippe de Cuverville, le bras droit de Monseigneur Ulrich, a traversé l’Atlantique. Il a multiplié les conférences, les prises de parole, les rencontres avec les diocèses. C’est parce que l’argent a coulé à flots que le travail a pu être fait dans les temps impartis. Il reste maintenant environ 150 millions d’euros sur ce budget. L’idée est de sanctuariser cette somme dans une «Fondation Notre-Dame» chargée de veiller sur l’avenir de cette église unique.
L’Archevêque de Paris a une devise: «La joie de croire.» Il l’a répété devant tous les travailleurs rencontrés, pour leur faire partager son volontarisme et son optimisme. Cinq ans ont passé. La joie de croire a accouché, ce samedi, de la joie de voir et de vivre la résurrection de Notre-Dame.