Rio Grande. Un fleuve. Une ville. Un mythe américain. Impossible, en approchant du poste-frontière du même nom, à l’extrême sud du Texas, de ne pas se rendre compte du décalage entre les discours de Donald Trump et la réalité de ce territoire entièrement dépendant de sa relation avec le Mexique voisin.
Ce lundi 20 janvier, le 47e président des États-Unis sera investi sous la coupole du Capitole, là même où avaient déferlé ses partisans, furieux, le 6 janvier 2021. Il déclenchera aussitôt, comme l’a promis Tom Homan, responsable de l’immigration dans la future administration, une chasse aux clandestins, de Chicago (au nord du pays) jusque dans les Comtés frontaliers texans. Et après? Que se passera-t-il pour l’économie locale si dépendante du Mexique pour ses importations industrielles et sa main-d’œuvre bon marché?
Amérique Mexicaine
J’ai garé ma voiture sur le parking du poste frontalier de Rio Grande. Et je compte, un par un, les énormes camions américains qui se pressent devant les portails électroniques. Il y a des portes containers, des citernes, des camions dont les remorques sont chargées de véhicules accidentés ou d’occasion. Cette partie du Texas est la casse automobile de l’Amérique. Tout finit ici, dans les innombrables garages disséminés le long de la frontière.
Tous les propriétaires de ces casses, où les véhicules sont parqués avant d’être expédiés au Mexique, portent des noms à consonance hispanique. Tous les élus des localités et des Comtés sont des Latinos. Tous ont de la famille de l’autre côté du fleuve. Donald Trump peut rêver de rebaptiser le Golfe du Mexique, «Golfe de l’Amérique». Son homologue, la présidente mexicaine Claudia Sheinbaum, a préparé sa riposte. Pourquoi ne pas rebaptiser cette partie des États-Unis, «l’Amérique mexicaine»?
Le paysage politique a, ici, été balayé par l’effet Trump. Tous les Texans que j’ai rencontrés, ou presque, m’ont affirmé avoir voté le 5 novembre pour l’ancien promoteur immobilier new-yorkais. Eloy Garza est l’un des Commissaires du Comté de Starr, où se trouve la ville de Rio Grande.
Je le retrouve devant le bureau des douanes, où une dizaine d’agents sont affairés à scruter les poids lourds, dont les chauffeurs doivent, un par un, descendre pour présenter leurs papiers. «Cette frontière est la chance de l’Amérique m’explique-t-il. Tout ce que les Américains consomment est produit de l’autre côté, dans ces zones industrielles que beaucoup aimeraient oublier. Une guerre commerciale avec le Mexique? Je n’y crois pas trop. Cela nous pénaliserait bien plus qu’on ose l’admettre.»
3000 maquiladoras
Jugez plutôt: trois mille Maquiladoras produisent sept jours sur sept, 24 heures sur 24, dans les provinces frontalières du Mexique. Les usines qui se trouvent dans ces parcs industriels emploient près de trois millions de personnes qui, ensuite, viennent consommer aux États-Unis. Janice tient une «cantina» à Rio Grande, dans la grande zone commerciale frontalière, remplie d’enseignes «Made in USA».
En ce début d’après midi texan, les piles d’assiettes s’amoncellent dans les éviers. Les serveuses, toutes mexicaines, passent de table en table. «Trump n’est pas fou. Il ne va pas tuer la poule aux œufs d’or qu’est le Mexique, argumente la restauratrice, originaire du Colorado. Ce qu’il faut, c’est quelques gestes symboliques. Beaucoup de gens ont oublié ce que le NAFTA (North America Free Trad Agreement, signé en 1994) a créé comme opportunités. Je n’ai pas peur d’une fermeture de la frontière. C’est juste impossible.»
NAFTA: ces cinq lettres font partie de celles que Donald Trump jette en pâture à ses électeurs depuis qu’il est entré en politique, pour dire combien l’accord en question, conclu pendant la présidence démocrate de Bill Clinton, est abominable. Le futur président a longtemps qualifié ce pacte qui a accouché d’une zone de libre-échange en Amérique du Nord de «pire accord commercial jamais conclu».
Vidéo: Catianne Tijerina
Pour Trump, le NAFTA a entraîné d’énormes déficits commerciaux aux États-Unis et la perte de millions d’emplois dans l’industrie manufacturière. «Comment quelqu’un a-t-il pu signer un accord?» s’est-il encore époumoné à répéter durant sa dernière campagne victorieuse.
Sauf que la renégociation de l’accord, durant son premier mandat, n’a pas fondamentalement changé la donne. La plupart de ses dispositions ont été maintenues. Les conditions de travail plus strictes imposées au Mexique ont permis aux travailleurs des usines, dans les Maquiladoras, de mieux s’organiser. La dépendance des États-Unis envers ces sites de production massive n’a guère diminuée.
Guerre commerciale
Dès sa prise de fonction, Donald Trump a promis d’augmenter de 25% les tarifs des biens «Made in Mexico». Cela pourrait donc intervenir dans les prochains jours. Mais qui sera victime de cette guerre commerciale? L’une des hantises des officiels texans qui acceptent d’en parler est que les éventuelles fermetures d’usines, au Mexique, renforcent les cartels de la drogue qui contrôlent, en sous-main, de nombreux territoires frontaliers. Eux disposent des infrastructures pour continuer d’exporter leurs stupéfiants, sous toutes les formes, aux États-Unis.
Ils savent comment acheter les douaniers, comment corrompre les officiels. «Ce que je redoute le plus, c’est un Mexique qui serait le dos au mur, détaille un policier, rencontré au pied du mur, le long de la frontière. Imaginez des milliers d’ouvriers au chômage à qui les Cartels viendront proposer du boulot pour une poignée de dollars. Une guerre commerciale peut enclencher une guerre tout court dans les rues de nos villes.»
Alors? «Trump a raison, il faut hausser le ton et mener des actions ciblées. Il ne faut surtout pas traiter de la même manière les commerçants réguliers et les trafiquants, poursuit notre interlocuteur». J’ai poursuivi ma discussion avec des douaniers et des agents de l’immigration sur le pont entouré de grillages qui surplombe le Rio Grande. En contrebas? Des carcasses de voitures, des amas de planches, restes de bidonvilles démantelés et de matériel abandonné par les passeurs.
«Make America Great Again»
Les États-Unis de Donald Trump ont de la peine à l’admettre, mais ils ont besoin du Mexique. Provocation ou ironie? Sur l’un des parapets du pont, au-dessus du Rio Grande, des Mexicains ont graffité rapidement un slogan «Volver a Hacer Grande America»: «Make America great again», en espagnol.
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