Il veut des «deals»
Résister à Trump, négocier avec lui et l'emporter? Le mode d'emploi existe

Tous ceux qui ont, dans le passé, négocié avec Donald Trump, savent que le président américain est un pragmatique. L'essentiel pour ne pas tomber dans son piège? Le laisser prendre l'initiative.
Publié: 21.01.2025 à 18:09 heures
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Dernière mise à jour: 21.01.2025 à 20:54 heures
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Pour signer une partie de ses décrets, le président américain n'a pas hésité à descendre dans l'arène du Capitol One Arena de Washington, D.C..
Photo: AFP
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Richard WerlyJournaliste Blick

Ils ont tous peur. Et c’est exactement ce que veut Donald Trump. Dès son discours d’investiture lundi 20 janvier sous la rotonde du Capitole, à Washington, le 47e président des États-Unis a confirmé que le rapport de force demeure sa méthode privilégiée.

Exemple type sur le Canal de Panama, dont il a promis de reprendre le contrôle, sans dire comment il compte s’y prendre. Autre exemple: sa volonté réitérée de vendre le maximum de gaz et de pétrole américain au monde entier, une stratégie ponctuée de son fameux «Drill, Baby Drill!» Et maintenant? Trump pourra-t-il obtenir ce qu’il veut aussi facilement qu’il l’a laissé croire devant ses partisans, en signant une volée de décrets présidentiels. Pas sûr. Lui résister est possible. Mieux: l’emporter sur ce président obsédé par les «deals» est également envisageable. Voici comment.

L’exemple de Juncker

L’un des témoins privilégiés du premier mandat de Donald Trump, entre 2016 et 2020, est l’ancien président luxembourgeois de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Or selon celui-ci, interrogé par la lettre La Matinale Européenne ses interlocuteurs ne doivent d’abord pas se laisser impressionner. «Donald Trump est un «deal maker», un homme d’affaires. Il s’exprime parfois de façon brutale et il est dans le rapport de force […] Ses déclarations sont à mettre sur le compte de la crainte qu’il veut inspirer. Il veut montrer qu’il veut être un président fort qui veut mettre fin aux habitudes d’antan, au droit international».

Conséquence pour Jean-Claude Juncker, qui avait évité la guerre commerciale avec les États-Unis que Trump envisageait déjà: le «deal» se joue dans les détails. «Pendant tous nos échanges, je lui ai manifesté le respect que l’on doit au président élu par les Américains. Beaucoup ont une mauvaise approche avec lui. Je sais qu’avec Donald Trump, on peut arriver à un accord. Il n’est pas très au fait des détails, mais on se retrouve dans les grandes lignes. Il ne faut pas l’attaquer mais trouver un point d’ancrage pour un compromis. Il faut aussi le respecter, essayer de se mettre dans ses souliers, trouver ce qui peut l’arranger sans nous nuire tout en conservant notre identité et notre force.»

Lui faire gagner des milliards

Interrogé par Blick, le député européen et ancien journaliste Bernard Guetta (Renaissance) acquiesce: «La bonne posture avec Trump est, justement, de lui proposer un deal. Or l’Union européenne a des atouts dans sa manche. Il veut vendre du gaz liquéfié et nous en avons besoin. Si l’on commence par lui dire qu’il peut gagner des millions ou des milliards de dollars, ça change la donne».

La seconde manière d’aborder au mieux une négociation avec Trump est d’avoir des alliés. La présidente de la Commission Européenne Ursula von der Leyen, présente au Forum d Davos ce mardi 21 janvier, a d’ailleurs abattu cette carte dans son discours. «Alors que la compétition entre les grandes puissances s’intensifie, je constate que de plus en plus de pays du monde entier cherchent à renforcer leurs liens avec nous. Rien qu’au cours des deux derniers mois, nous avons conclu de nouveaux partenariats avec la Suisse, les pays du Mercosur et le Mexique. Cela signifie que 400 millions de Latino-Américains participeront bientôt à un partenariat privilégié avec l’Europe.»

Et d’ajouter: «Ces accords ont été en discussion pendant des années, voire des décennies. Pourquoi voient-ils le jour maintenant? Ce n’est pas seulement parce que l’Europe est un grand marché attractif. C’est parce qu’avec l’Europe, il n’y a pas de faux-semblants. Nous respectons les règles du jeu.» C’est habile. Trump aime les proies isolées, comme le gouvernement panaméen qu’il croit pouvoir forcer à accepter ses conditions sur le contrôle du canal. Mais il peut aussi reculer lorsqu’il sent que sa position de négociation est plus fragile que prévu.

Le chat et la souris

«Il ne faut pas être comme la souris devant le chat quand on discute avec Donald Trump ajoute Jean-Claude Juncker, dans son entretien à la Matinale Européenne. Il n’est pas un fin diplomate, mais il comprend les messages brutaux car il s’exprime de façon brutale. Il ne faut pas avoir peur ou lui témoigner un faux respect. Il entend la réalité et il sait faire des compromis. Il respecte ceux qui s’opposent ouvertement à lui sans le blesser et surtout il a le sens du rapport de force.»

Respect: un mot-clé pour éviter l’affrontement avec Donald Trump estiment tous ceux qui ont eu à négocier avec lui. L’ancien magnat de l’immobilier new-yorkais est ambivalent. Il passe son temps à détester «l’establishment corrompu», comme il l’a encore rappelé dans son discours d’investiture, mais il aime les honneurs, l’apparat, la mise en scène qui le met en majesté. Cette autre partition avait été assez bien jouée par Emmanuel Macron lorsqu’il avait convié Donald Trump au traditionnel défilé militaire du 14 juillet à Paris, sur les Champs-Élysées. La veille, les deux couples présidentiels avaient dîné ensemble au Jules Verne, le restaurant étoilé de la tour Eiffel.

Le Pape et Notre-Dame

«Trump était reparti épaté. Il avait l’impression que la France entière lui rendait hommage, se souvient un diplomate. Cet homme réputé rustre, brut de décoffrage aime la sophistication européenne. Il avait aussi été très impressionné, en mai 2017, par sa visite au Vatican, pour y rencontrer le pape François.» D’où l’idée habile de Macron d’inviter son futur homologue à Notre-Dame, le 8 décembre dernier: «Trump cherche toujours un décor», poursuit notre interlocuteur. «Plus le décor est grandiose, moins il est féroce.»

«
Il me disait 'Tes chiffres sont faux' et je lui répondais 'Ce sont les vôtres'
Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre luxembourgeois
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Dernier registre enfin: les chiffres, les données, bref, tout ce que Trump déteste. Jean-Claude Juncker avait pris une habitude lorsqu’il rencontrait le président américain: toujours utiliser les chiffres de ses propres services. Il ne se basait donc pas sur les statistiques européennes, mais sur celle de son interlocuteur qui, plus d’une fois, se retrouvait pris au piège. «Il me disait 'Tes chiffres sont faux' et je lui répondais 'Ce sont les vôtres'», raconte l’ancien Premier ministre luxembourgeois.

Les Mercedes allemandes

C’est cette tactique, explique-t-on à Bruxelles, que la Commission européenne compte employer sur l’épineux dossier des exportations de voitures (pour l’essentiel allemandes) vers les États-Unis. La Commission européenne lancera le 30 janvier un dialogue stratégique avec l’industrie automobile. Il s’agit «d’élaborer un plan d’action pour le secteur».

Or le géant italien Fiat est, rappelons-le, premier actionnaire de Chrysler. «Trump déteste les Mercedes allemandes», complète un haut fonctionnaire européen. «Il est beaucoup moins conscient de ce que les investissements européens rapportent aux États-Unis. Notre premier boulot, face à lui, c’est de démontrer que nous sommes des partenaires qui profitent à l’Amérique.»

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