Les fêtes de Pâques se dérouleront-elles sur les barricades en France? Pour le moment, cela paraît très peu probable, malgré l'échec de la rencontre entre la Première ministre et les syndicats ce mercredi. La onzième journée d’action contre la réforme des retraites, prévue jeudi 6 avril, pourrait en effet confirmer la baisse de mobilisation déjà constatée ces derniers jours, alors que le projet de loi sur la réforme des retraites est dans les mains du Conseil constitutionnel qui se prononcera le 14 avril. La nouvelle patronne de la CGT Sophie Binet, 41 ans, voulait faire de cette journée un acte marquant. C'est fait. En abrégeant la réunion avec Elisabeth Borne dès que celle-ci a réitéré son intention de maintenir la réforme des retraites, l'intersyndicale a confirmé sa détermination et, surtout, son unité. Preuve que leur cap n'a pas changé: le leader de la CFDT réformiste, Laurent Berger, a de nouveau réclamé une mise entre parenthèses du texte législatif adopté sans vote le 16 mars grâce à l’article 49.3.
Reste la question qui intéresse tout le monde à la veille d'un week-end prolongé de congés: les syndicats vont-ils bloquer la France pour Pâques, au risque de se mettre à dos une bonne partie de la population? A priori, la réponse est non. Mais la crise reste ouverte.
Tout bloquer serait contre-productif
Les syndicats le savent. Leur meilleur atout, en plus de leur unité, est la popularité de la lutte pour le maintien de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans, au lieu de 64 ans comme le prévoit le projet de loi. Ils savent aussi que 51% des personnes interrogées restaient, à la mi-mars, d’accord pour le blocage du pays, selon les sondages. Mais attention: 51% est une courte majorité. Et l’immobilisation des trains, ou le blocage des autoroutes à la veille du week-end pascal reviendrait à prendre un grand risque. Le plus probable est donc que la CGT et la CFDT, les deux plus puissantes formations de l’intersyndicale (qui en compte huit), vont jouer la prochaine partie en deux temps.
Premier temps? La onzième journée de mobilisation et de grève ce jeudi 6 avril, avec pour objectif de relancer le mouvement. Second temps? La pression sociale et médiatique maximale à la veille de la décision du Conseil constitutionnel attendue le 14 avril. Les juges constitutionnels doivent à la fois donner leur avis sur le projet de loi (qu’ils peuvent retoquer partiellement ou en totalité s’ils ne le jugent pas conforme à la loi fondamentale, ou s’ils estiment que le processus parlementaire n’a pas été adéquat) et sur la motion présentée par la gauche pour l’organisation d’un référendum d’initiative partagée sur les retraites. D’ici là, un blocage XXL du pays ferait basculer les syndicats du mauvais côté pour l’opinion publique. Ils doivent donc faire le forcing et temporiser.
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Tout bloquer compliquerait la suite
Le gouvernement français est actuellement le dos au mur. La réforme des retraites est en passe d’être adoptée. Le plus dur de l’épreuve sociale est peut-être passé. Mais Emmanuel Macron, arrivé en Chine ce mercredi 5 avril, a encore quatre ans devant lui avant la présidentielle de 2027. Quatre ans! Les syndicats doivent donc profiter de ce rapport de force à moyen terme en leur faveur. Ils sont la garantie, si une négociation s’engage sur le travail ou les salaires, d’un retour au calme du pays dont l’exécutif a grand besoin.
Ils l'ont réitéré ce mercredi devant la Première ministre, qui a de nouveau refusé de reporter sa réforme. Ce qu’il faut maintenant, c’est trouver un sujet de discussion sur lequel le gouvernement pourra céder du terrain. Tout bloquer compliquerait en revanche terriblement leur agenda. Il permettrait à l’Exécutif de se retrancher derrière le maintien de l’ordre. La sortie de crise est aujourd’hui indispensable. Pour le pays. Pour le gouvernement. Pour les partenaires sociaux.
Tout bloquer ne veut pas dire… ne rien bloquer
C’est subtil. C’est cynique. Mais c’est la vérité. Une fois que le week-end de Pâques sera passé, et avant la décision du Conseil constitutionnel, les syndicats peuvent activer des leviers précis comme le blocage des raffineries et de la distribution d’essence, ou des actions coups de poing dans les gares. Le nouveau numéro deux de la CGT, Laurent Brun, est le patron du syndicat dans les transports ferroviaires! On peut aussi imaginer des blocages ciblés et des actions localisées, comme cela a été le cas ce samedi à Vire (Calvados), dans la circonscription de la première ministre Élisabeth Borne. Le test sera celui de la violence, toujours prête à refaire surface dans ce pays révolutionnaire qu'est la France. Et ce des deux côtés: manifestants et policiers.
Elisabeth Borne apparaît pour sa part de plus en plus comme un fusible potentiel. L'échec de la rencontre de mercredi montre qu'elle n'est pas en mesure de ramener les syndicats à la table des négociations. A son retour de Chine, le 8 avril, Emmanuel Macron va-t-il revenir dans le débat sur les retraites? L’idée d’une France subitement pacifiée par les fêtes de Pâques paraît en tout cas irréaliste. Pour les syndicats, le combat continue. Il faut juste éviter la défaite. Et un chaos que les Français pourraient leur reprocher..