Les Français ne sont d’accord sur rien, sauf sur la mort. C’est peut-être caricatural, mais ce n’est pas si faux. En pleine bataille sociale sur les retraites, alors qu’une nouvelle journée de mobilisation est prévue contre le projet de loi adopté sans vote le 16 mars, une lueur d’espoir démocratique s’est allumée ce dimanche dans le tunnel politique hexagonal. Dans cette République bloquée, un débat s'est enfin déroulé sans accrocs.
Neuf week-ends de sessions
Il est venu des 185 citoyens membres de la Convention citoyenne pour la fin de vie, qui a achevé ses travaux ce 2 avril. Dans les faits, ils étaient 184, l’un d’entre eux, sans emploi, ayant retrouvé du travail depuis l’ouverture de la Convention en décembre 2022. Bilan: neuf week-ends de sessions et 27 jours de débat, dans l’enceinte du Conseil social et environnemental (CESE), une institution consultative souvent considérée comme un «placard» de la République. Et finalement, un rapport frappé au coin du bon sens, après des heures de discussion et d’écoute d’experts ou professionnels de la santé.
Le résultat n’est pas une surprise dans un pays où les personnes dépendantes en fin de vie qui le peuvent prennent souvent le chemin de la Suisse ou de la Belgique, où le suicide assisté est autorité sous conditions. 75% des participants se sont prononcés en faveur d’une modification de la législation française, qui interdit aujourd’hui strictement l’aide active à mourir. 92% des «conventionnels» appellent le gouvernement à «des changements profonds» de la loi existante, en vigueur depuis 2016. Emmanuel Macron les recevra tous lundi 3 avril au palais de l’Élysée.
Ce, deux jours avant que la première ministre Française Elisabeth Borne reçoive pour sa part l’intersyndicale, pour la première fois depuis le début du conflit sur la réforme des retraites. Dix journées de mobilisation et de grèves ont eu lieu depuis l’annonce initiale du projet le 10 janvier. Une onzième est prévue ce jeudi 6 avril.
Épisode 1: la convention citoyenne sur le climat
Le plus important, à ce moment précis, n’est peut-être pas le contenu du rapport de cette Convention citoyenne pour la fin de vie, qui devrait aboutir sur un projet de loi, même si Emmanuel Macron garde le souvenir cuisant du premier exercice de ce type, consacré au climat. Une Convention citoyenne sur le climat s’est déroulée dans l’enceinte du même CESE, du mois d’octobre 2019 à juin 2020. Elle réunissait 150 participants et avait abouti à 149 propositions.
Problème: le texte législatif qui en a résulté, supposé reprendre 146 des 149 suggestions (rejet de la proposition de réécrire le préambule de la Constitution, rejet de la limitation de vitesse sur autoroute à 110 km/h, rejet de la taxation écologique à 4% des dividendes des entreprises supérieurs à 10 millions d’euros) a ensuite été massivement rejeté par les «conventionnels». La loi «Climat et résilience» finalement promulguée le 22 août 2021, a donc échoué à instaurer une forme de consensus écologique.
Un «travail de délibération respectueux»
La question de la fin de vie et de la mort, va-t-elle changer la donne? Officiellement, l’entourage présidentiel affirme le vouloir. «Ce travail de délibération respectueux peut servir de modèle. Beaucoup de pays étrangers regardent l’expérience de la France pour s’en inspirer» explique-t-on du côté de l’Élysée, où l’on insiste sur l’émergence de «nouvelles formes démocratiques». Une vaste réflexion va être engagée sur les soins palliatifs.
Les 184 citoyens mobilisés, tous bénévoles, ne se sont ni chamaillés, ni insultés, dans un moment d'intenses tensions nationales. Ils ont incarné, toutes opinions politiques confondues, une France capable de débattre sans s’affronter. «La satisfaction est générale» poursuit-on du côté de la présidence de la République. Sans répondre à cette question qui fâche, alors que les deux tiers des Français demeurent, selon les sondages, hostiles au projet de loi sur la réforme des retraites et le report de l’âge légal de départ à 64 ans (au lieu de 62 actuellement): pourquoi ne pas avoir mis sur pied une convention de ce type sur le système de pensions et son déficit présenté comme chronique par le gouvernement?
Le plus probable est qu’un texte de loi sera préparé d’ici à la fin 2023. Mais peut-on voir dans cette convention citoyenne, organisée à la suite du «Grand débat national» post-crise des «Gilets jaunes», de «l’oxygène démocratique»?
Et comment concilier cet exercice avec la volonté des Français d’être davantage consultés par référendum? Une proposition d’organiser un référendum d’initiative partagée sur les retraites, signée par plus de 200 députés (ce qui supposera la récolte de 4 millions de signatures) est d’ailleurs pour le moment sur le bureau du Conseil constitutionnel. Lequel se prononcera à la fois sur cette initiative et sur le projet de loi le 14 avril.
Un référendum sur la fin de vie ne serait pas possible en France
Le référendum sur les questions de société n’est en effet a priori pas possible en France aux termes de l’article 11 de la constitution, selon lequel «Le Président de la République […] peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité.».
Les 184 citoyens amenés à débattre de la fin de vie ont néanmoins ouvert une (petite) fenêtre de compromis dans une République plus fracturée que jamais. Comme dans la vraie vie, la mort finit toujours par réunir les familles au chevet de leurs proches…