Aujourd’hui, tout le monde est d’accord: François Mitterrand (1916-1996) ne présida pas la France de 1981 à 1995. Il régna. Sa conception du pouvoir était, au fond, très monarchique. Il ne s’agissait pas, pour celui qui accéda à l’Élysée en mai 1981 à la tête de l’Union de la gauche (avec le parti communiste), de transformer le pays pour le rendre plus démocratique.
Son objectif était, après une vie entière passée à conquérir le pouvoir, de s’assurer que celui-ci ne lui échapperait plus. Et pour y parvenir, rien de tel que d’avoir à ses côtés quelques amis fidèles, prêts à tout pour l’épauler et surtout connectés à ce qui permet toujours de mieux gouverner: l’argent et la puissance. Telle est la trame de l’enquête historique de Sébastien Le Fol «En bande organisée. Mitterrand: le pacte secret» (Ed. Albin Michel).
Les mousquetaires de Mitterrand
Trois hommes ont joué le rôle de mousquetaires pour François Mitterrand, dans le secret de ces années de feu que fut l’entre-deux-guerres, de 1918 à 1940, puis le second conflit mondial. Tous étaient ancrés, par conviction, à la droite de la droite. Leurs valeurs étaient celles d’un pays profondément conservateur. Leur fidélité allait d’abord aux puissances d’argent et à la bourgeoisie catholique, parfois antisémite.
Pierre de Bénouville (1914-2001) fut résistant, député, et surtout confident de l’avionneur Marcel Dassault, lui-même parlementaire et grand distributeur de récompenses sonnantes et trébuchantes. L’industriel François Dalle (1918-2005) mourut à Genève après avoir fait de l’Oréal le premier géant cosmétique mondial, et une incroyable machine à profits. André Bettencourt (1919-2007), homme politique et un temps ministre, fut l’époux de l’héritière de l’Oréal, Liliane Bettencourt, longtemps la plus riche femme de France.
Autour de leur ami François, ceux-ci jouèrent pour lui le rôle d’ascenseurs pour le vrai pouvoir. Pas celui des urnes. Le pouvoir de l’argent, de l’influence et des secrets forgés durant la période la plus noire de la France moderne: celle de l’occupation du pays par les Nazis, durant la seconde guerre mondiale.
Le livre de Sébastien Le Fol est déroutant. Il manque parfois de structure. Il se lit davantage comme un carnet de notes. Il s’attarde sur des séquences. Il multiplie les coups de zooms sur tel ou tel personnage. L’on croise dans cette enquête les fantômes du Maréchal Pétain, du Général de Gaulle, de René Bousquet (qui fut le chef de la police de Vichy).
Tout est écrit. Mitterrand, le chantre de l’Union de la gauche, arrivé au pouvoir en mai 1981 avec l’appui du parti communiste pour «changer la vie», était un homme de droite. Sa vie politique fut un mensonge, pas une reconversion. Est-ce une surprise? Non. Lorsqu’il est élu pour la première fois député de la Nièvre, au sortir de la guerre, François Mitterrand est très à droite. Il a reçu quelques années plus tôt, à Vichy, la Francisque, cette légion d’honneur maréchaliste qui ressortira à la fin de sa présidence. Mais peut-on résumer cet homme à une seule vie? La réponse est non. Sébastien Le Fol le prouve au fil des pages.
Marcel Dassault, des avions et des votes
L’un des aspects passionnants est le rôle joué à ses côtés par Pierre de Bénouville. Ce dernier est l’homme à tout faire de l’avionneur Marcel Dassault, ingénieur juif revenu des camps de la mort pour retrouver et rebâtir son empire industriel et aéronautique, sur base de commandes publiques.
Dassault est un génie. Il fabrique des avions et des milliards. On sait aussi que les liens de Dassault avec un autre président, Jacques Chirac, étaient très étroits. Bénouville est une sorte d’aide de camp pour Mitterrand. Le gardien des secrets qu’il connaît depuis leur vie étudiante, à Paris.
Certains de ses secrets, durant la guerre et après, sont passés par la Suisse où mourut François Dalle, l’entrepreneur sur lequel Mitterrand put toujours compter. Genève est au cœur de la galaxie Mitterrand. Cela mériterait d’ailleurs un livre. Combien d’intrigues politiques françaises, des années 1940 aux années 1990, se sont nouées et dénouées avec des liasses de billets sur les bords du Léman?
La morale de ce livre (qui n’en a pas) est que le pouvoir et la politique sont deux choses différentes. La politique, dans une République digne de ce nom, est par définition l’affaire de tous. Elle se forge au fil des influences, des changements sociaux, des médias. Le pouvoir se conquiert. Il est une drogue plus dure que toutes les autres. Il ne se partage jamais vraiment, sauf entre quelques personnalités.
C’est comme cela, du moins en France, dans ce royaume où tous les fils de l’actualité sont toujours enracinés dans l’histoire, où les liens familiaux expliquent beaucoup, où les fidélités déjouent les pronostics idéologiques.
Mitterrand était l’homme de cette France issue autant de la collaboration que de la résistance. Ses racines secrètes le liaient à ces trois mousquetaires: Bénouville, Dalle, Bettencourt. Ils étaient tous pour lui. Ce qui ne l’empêcha pas, au fil de sa carrière, de privilégier d’autres alliés et d’autres amitiés, bien cloisonnées. Normal. Il était le roi. Pas eux.
À lire: «En bande organisée. Mitterrand, le pacte secret» (Ed. Albin Michel)