On connaît l’expression meurtrière de Victor Hugo. Pour le grand écrivain français, Napoléon III était irrémédiablement «Napoléon le petit», en comparaison bien sûr avec son oncle, l’Empereur Napoléon Ier. Petit, le souverain qui régna sur la France durant le Second Empire (1852-1870) l’était d’ailleurs vraiment par la taille. Drôle de monarque que ce troisième fils de Louis Bonaparte, frère du vainqueur d’Austerlitz.
Et pourtant: en 1867, l’exposition universelle de Paris marque l’apogée d’un règne qui est aussi le firmament d’une certaine France. Tout semble lui sourire. Paris est transformée par le baron Haussmann qui y a percé de grands boulevards. L’élite de toute la planète afflue. Napoléon III est (presque) le maître du monde alors que les États-Unis se relèvent dans le sang de la guerre de Sécession (1861-1865) et que la reine Victoria (1819-1901) règne sans partage sur l’Empire britannique.
Une enquête historique très complète
Il manque un élément à la formidable enquête historique, très complète, que l’historien Edouard Vasseur vient de consacrer à cette exposition universelle de 1867, au sous-titre évocateur «L’apogée du Second Empire» (Ed. Perrin). Cet élément est helvétique. Car l’Empereur Napoléon III est suisse! Il a grandi en exil en Thurgovie, au château d’Arenenberg qui abrite d’ailleurs aujourd’hui un musée en son hommage. Un Empereur suisse, oui! Louis Napoléon Bonaparte est d’abord président de la République française de décembre 1848 à novembre 1852, date à laquelle il se fait proclamer Empereur. L’intéressé parle le suisse allemand. Il s’exprime en français avec l’accent.
En politique, il est impitoyable. Mais sa passion est la prospérité, l’économie, le rayonnement de la France par l’industrie. Tout ceci, en revanche, figure bien dans le livre d’Edouard Vasseur qui raconte aussi l’incroyable mutation de Paris. Anne Hidalgo, maire d’une capitale qui s’apprête à recevoir les Jeux Olympiques d’été 2024, devrait lire cet ouvrage. La métropole est transformée. Le champ de Mars, sur lequel ne se dresse pas encore la tour Eiffel, est recouvert d’un immense palais circulaire de verre et d’acier dévoué aux technologies. Paris, capitale du monde moderne: c’était en 1867!
Le récit d’une aventure
Ce livre se lit comme le récit d’une aventure. Napoléon III a volé le pouvoir suprême. Il a tué la République naissante. Il s’est même vu roi du monde, envoyant au Mexique le jeune Maximilien d’Autriche pour y prendre le pouvoir, avant de finir fusillé à la veille de l’exposition de 1867. L’Empereur des Français a aidé, en février 1863, le jeune Henry Dunant à créer la Croix Rouge à Genève, après l’effrayant massacre de Solférino, dans le nord de l’Italie, en lutte pour se débarrasser de la tutelle des Habsbourg (juin 1859).
Le portrait de la France de l’époque est encore plus passionnant. Le jeune ingénieur Gustave Eiffel fait ses armes durant cette exposition. Tout n’est que dévotion à la science, à l’industrie, au capitalisme naissant, aux colonies que l’on commence à exploiter. Le frère du Shogun japonais visite la capitale française parce que, pour la future puissance asiatique, la France est «le» modèle. Deux pays seulement restent à la marge, et pour cause. Le Royaume-Uni regarde d’abord vers son Empire. L’Allemagne de Bismarck, née de la Prusse, se prépare à la guerre. L’apogée français de 1867 est en fait un mirage. Paris règne, mais Paris sera, trois ans plus tard, assiégée par l’envahisseur allemand devant lequel Napoléon III a capitulé.
Il manque une biographie suisse de cet Empereur si éloigné de son oncle stratège. Napoléon III aimait l’argent – le Napoléon reste d’ailleurs la pièce d’or emblématique –, les techniques, le génie industriel qui prospère en temps de paix. Il avait compris le goût des Français pour l’autorité, mais il ne parvint jamais à les apprivoiser. Il était visionnaire pour son pays, mais incompris d’une société encore très largement paysanne et d’une élite biberonnée aux idéaux révolutionnaires et républicains. Le récit de l’exposition universelle de 1867 dit ce précipice: cet Empereur qui régna pendant vingt ans conduisait un pays qui, jamais, ne fut vraiment le sien!
Paris, bien loin de la Thurgovie
La Thurgovie est loin de Paris, bien loin. Comment Napoléon «le petit» parvint-il à partir des rivages du lac de Constance pour s’emparer de la Ville lumière où il fit régner le faste des grands travaux menés par Haussmann? Parce qu’il sut capter la soif de reconnaissance internationale des Français, et surfer sur leur ingéniosité industrielle. Napoléon III était un capitaliste invétéré, qui acheva sa vie en exil en Angleterre. Il transforma la France par le goût de l’argent et de la réussite. On connaît la suite.
En 1871, après la défaite contre l’Allemagne de Bismarck et l’humiliation de la bataille de Sedan (septembre 1870), Paris est cerné. Et la «commune» surgit, produit de la rébellion des ouvriers, et de l’idéal marxiste naissant. Napoléon III voulait transformer la France. Il a in fine largement échoué. L’héritage de l’exposition universelle de 1867 est aussi cet aveu d’impuissance de la modernité mondialisée, face à cette France d’abord passionnée d’elle-même et d’égalité.
A lire:
«L'exposition universelle de 1867» de Edouard Vasseur (Ed. Perrin)