Ils cognent. Ils tapent. Ils ne contrôlent pas leurs pulsions. Mais ce côté-là de leur personnalité vous est inconnu. Soit, vous ne le voyez pas. Soit, vous ne voulez pas le voir. Le déni est puissant. Chez eux, mais chez nous aussi.
Pour reprendre le titre de l’enquête du journaliste Mathieu Palain, ces hommes sont «Nos pères, nos frères, nos amis» (Ed Les Arènes). Ils sont là, à nos côtés.
Je me suis demandé moi-même, en lisant ce livre qui raconte plus d’une année d’enquête, de conversations et de rencontres, si je connaissais moi aussi certains de ces hommes-là. Et je l’avoue: j’en ai soupçonné au moins deux.
J’ai recoupé les faits, les expériences, les remarques faites entre mecs autour d’un verre ou d’une soirée. Et je me suis dit, sans aucunes preuves à l’heure d’écrire ces lignes et sans qu’aucune alerte ne soit venue corroborer mes doutes, que ces deux-là sont peut-être un jour passés à l’acte en portant un coup à leur conjointe.
Attention: je vous écris ici que je me suis mis à douter. J’ai bien vérifié. Nos amis communs, eux, pensent que j’exagère. Ceux qui connaissent mieux leurs compagnes m’ont dit que je délirais. C’est tout. Mais c’est déjà énorme. Ce livre agit comme un point d’interrogation qui vous rentre dans la tête.
Mathieu Palain voyage dans nos doutes
Cela m’a d’ailleurs parfois déplu. Cette façon de voyager dans nos doutes. De voir ces doutes (presque) partout. Mais il faut prendre cet ouvrage salutaire et courageux pour ce qu’il est: un avertissement.
Mathieu Palain a plongé dans une réalité qui nous échappe parce qu’elle ne peut être perçue qu’en s’immisçant dans ce monde parallèle des hommes violents, qu’en repoussant les barrières qu’ils savent ériger autour d’eux.
Ce sont, au fond, les détails qui trahissent le mieux la vérité. Les pulsions. Les colères. Cette main qui s’écrase sur la table ou qui vous broie les phalanges après une discussion houleuse. C’est aussi le problème de l’alcoolisme, ou de la toxicomanie, deux univers avec lesquels l’auteur tisse des liens étroits au fil de ses investigations.
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La violence conjugale, ou tout simplement la violence envers les femmes, est une addiction. Attention encore: je raconte ce que j’ai lu dans cet essai écrit avec une plume fidèle aux faits, qui dit le bien et le mal sans chercher à démêler l’un de l’autre.
J’avoue que j’avais hésité à tourner ces pages, après avoir côtoyé l’auteur sur le plateau de La Chaîne Parlementaire, à Paris. Je redoutais le livre bien pensant, dicté par l’époque. J’ai été démenti au fil de ma lecture. Tant mieux. Un seul souhait, comme lecteur: qu’un livre similaire soit entrepris un jour par une femme journaliste sur la violence féminine. Pas pour les comparer, ce qui serait stupide. Mais parce qu’elle existe aussi.
La force de ce livre est qu’il n’a pas de fin. C’est en ceci qu’il est troublant, gênant, terrible à digérer. Qui peut croire que les lois, la vigilance sociale, l’action plus rapide de la police éradiquera ces pulsions masculines, surtout dans de nombreuses sociétés où le droit est tout sauf une force motrice?
Mathieu Palain fait, dans son ouvrage, le portrait d’un instinct de domination qui se cultive au fil des petites choses de la vie au début considérées sans importance. Une mère que l’on a vue courber l’échine devant son père. Une copine qui a un jour accepté l’impensable. Un rapport sexuel soudain plus excitant parce qu’il inclut une dose perverse de violence.
Chaque chapitre nous fait descendre une marche de l’escalier. On devient violent, parfois, sans comprendre pourquoi. On est aspiré. Les coups de poing, les claques, les larmes, permettent de régler les affaires en urgence. Mathieu Palain fait le portrait d’hommes qui se croient dominants et qui, en réalité, ont perdu la dignité ultime: le contrôle de soi.
À lire:
«Nos pères, nos frères, nos amis» par Mathieu Palain (Ed. Les Arènes)