Ils en rêvent tous (ou presque)
Découvrez le monde secret de la Légion d'honneur

Dans «La décoration», Romain Gubert explore le monde secret de la décoration la plus prisée de la République française. Créée par Napoléon, celle-ci est souvent l'objet d'intrigues, de manœuvres et d'acrobaties professionnelles ou personnelles. À l'image de la France.
Publié: 29.01.2023 à 13:41 heures
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Dernière mise à jour: 30.01.2023 à 12:12 heures
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Le saviez-vous? L'ancien Gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger est, depuis 2015, commandeur dans l'ordre de la Légion d'honneur. La dernière remise de médailles par Emmanuel Macron lui-même a eu lieu le 17 janvier dernier. L'ex-entraineur d'Arsenal Arsène Wenger a, ce jour-là, été fait chevalier.
Photo: imago/PanoramiC
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Richard WerlyJournaliste Blick

La décoration. Laquelle? La Légion d’honneur. Bien plus qu’une médaille, créée en mai 1802 par Bonaparte, alors premier consul avant de devenir l’Empereur Napoléon. Une reconnaissance. Un signe qui vous transforme, d’un coup d’épingle sur la poitrine, en homme ou femme de premier plan, même si ces dernières furent longtemps les oubliées de l’Ordre (26'000 récipiendaires seulement depuis sa création contre un million de personnes décorées au total).

Le journaliste Romain Gubert a choisi avec son livre «La décoration» (Ed. Grasset) de nous faire pénétrer dans les couloirs secrets de cette République médaillée. Car ce ruban et cette médaille, tout le monde se les arrachent ou presque. Avec, comme apothéose, le discours prononcé lors de la remise de la Légion d’honneur, supposé vous honorer. Et vous permettre ensuite d’y répondre: «Il faut d’abord se moquer (beaucoup) de soi et (beaucoup) flatter celui qui vous honore, le tout avec humour pour ne pas tomber dans le ridicule absolu» écrit l’auteur, citant une «plume» du palais présidentiel de l’Élysée.

Un traité sur la France

Ce livre est un traité sur la France. Il dit cette société de cour que la République supposée être égalitaire n’a jamais cessé d’être. Il dit les hauts et les bas de cette Légion d’honneur qui sert autant à promouvoir qu’à récompenser ou à réparer les injustices. Environ 79'000 citoyens français et étrangers la portent aujourd’hui (chevaliers, officiers, commandeurs…), signalée par une rosette rouge sur le revers de leur veston (attention, le port de la rosette est aussi très réglementé, pas question par exemple de la mettre sur un manteau).

Les uns sont militaires. Ils l’ont gagnée au feu, ou bien, pour les officiers, par le simple avancement de leur grade. Les autres sont civils. Français ou étrangers (qui, eux, ne sont pas membres de l’ordre). Et là, tout est possible.

La Légion d’honneur est un fourre-tout honorifique soigneusement réglé par les services de sa Chancellerie et par son conseil de l’Ordre composé de seize personnes, boucliers contre toute dérive. Mais quel fourre-tout! Beaucoup de hauts fonctionnaires, pas toujours méritants, la considèrent indispensable pour leur carrière. Les diplomates lorgnent le revers de la veste pour savoir qui en est, ou qui n’en est pas. Les sportifs l’obtiennent au fil de leurs performances. Puis viennent tous les autres: les élus qu’on récompense, les travailleurs sociaux méritants, les hommes et femmes de lettres (dont Michel Houellebecq), les universitaires (même si l’économiste spécialiste des inégalités Thomas Piketty l’a refusée en 2015)…

Des Légions d’honneur très photogéniques

Pour l’obtenir, les uns ne font rien. Ils attendent. Leurs exploits, leur mérite, leur notoriété et l’utilité politique de leur décoration font le reste. Quoi de plus pratique qu’une Légion d’honneur pour se retrouver sur la photo avec Arnold Schwarzenegger (décoré en 2017 par François Hollande), Sharon Stone (décorée en 2011) ou Clint Eastwood (décoré en 2009)? Les présidents français ou leurs ministres de la Culture raffolent de ces cérémonies à la fois mondaines et politiques, bien plus prisées que celles prévues pour les récipiendaires de l’autre ordre présidentiel: la médaille du mérite.

La Légion d’honneur, c’est «le rouge». Le Mérite, c’est le «bleu». Mais le pire est dans la sélection finale. Combien de méritants ne l’ont pas obtenu, tandis que tant d’intrigants sont parvenus à l’arracher? «Il est des vexations incompréhensibles, mesquines, révoltantes même», reconnaît Romain Gubert dans «La décoration». Et l’auteur de citer cette déportée d’Auschwitz, dont les descendants crurent bon d’écrire au grand chancelier de la Légion (aujourd’hui, le Général François Lecointre) pour solliciter cet ultime hommage de la Nation. Réponse: «Toute proposition n’entraîne pas automatiquement une nomination.» Alors que, dans les couloirs des ministères et à la chancellerie – située à Paris, près de la Seine – tant de dossiers s’amoncellent pour récompenser des «apparatchiks» de telle ou telle cause…

Pas une enquête, mais un voyage

Il faut prendre ce livre pour ce qu’il est: pas une enquête, mais un voyage au pays de la Légion d’honneur, où le pire côtoie le meilleur. Faut-il s’en indigner? Non, surtout pas. Le «rouge» est un outil qui sert la République. Il permet au théâtre des vanités républicaines de fonctionner et d’être régulé. Il dit ce que toutes les sociétés réclament: de la reconnaissance (méritée dans bien des cas) au bout de ces compétitions humaines que sont naturellement nos vies professionnelles, associatives ou politiques.

On peut en rire. On peut en pleurer. On peut aussi simplement respecter ces usages, sans y prendre un goût déplacé et dérisoire. La Légion d’honneur, aussi utilisée par les Ambassadeurs de France (c’est le cas en Suisse comme ailleurs) pour saluer les ami(e)s de leur pays, est à prendre impérativement au second degré. Pour que l’honneur dont elle est porteuse sorte indemne des inévitables bassesses qu’elle suscite.

À lire: «La décoration», de Romain Gubert (Ed. Grasset)

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