Comment reconnaître un riche? Ou plutôt, comment savoir si votre voisin réputé fortuné n’est pas seulement riche, mais très riche? Regardez sa voiture, essayez de savoir quel club privilégié il ou elle fréquente, identifiez ses goûts... Bref, dressez la liste de tout ce qui le distingue d’un banal entrepreneur ou héritier bien nanti.
Dans son «Histoire mondiale des riches» (Ed. Plon) tout juste parue, Fabrice d’Almeida s’est livré, pour nous, à cet exercice. On sait aujourd’hui que les oligarques russes et les milliardaires en général adorent les yachts. Mais qu’en était-il à la fin du XIXe siècle? A quoi ressemblait alors le titulaire d’une grande fortune?
La richesse, un aimant à rumeurs
Les livres que je suggère de ne pas rater sont toujours des ouvrages susceptibles d’alimenter le débat, et de nourrir une bonne conversation. En ouvrant celui-ci, vous toucherez aussitôt le gros lot en termes de sujets de discussion. Car qu’est-ce que la richesse sinon un aimant à rumeurs, toutes plus extravagantes les unes que les autres?
L’historien français, familier des plateaux de télévision, a en effet jeté son dévolu sur ceux qui peuplent – soit par leur omniprésence, soit par leur absence – les magazines «people» de la planète, et les coulisses de la finance mondiale dont ils tirent les ficelles. «Cette histoire est celle des vrais riches, ces 2500 personnes qui possèdent aujourd’hui un jet privé et ces 7500 qui en ont loué un l’an passé», assène-t-il en début d’ouvrage.
Vous voilà dans un monde dont vous ne franchirez sans doute jamais la porte. Les très riches vivent entre eux, se marient entre eux, s’amusent entre eux. La preuve? Dès 1860, début de la période étudiée par l’auteur, leur première préoccupation est de créer un club où se retrouver à Paris, alors quasi-capitale du monde. Ce sera le Jockey Club, qui existe d’ailleurs encore.
Enfin un universitaire français qui ne juge pas les riches
La force de Fabrice d’Almeida est qu’il ne juge pas. Étonnant, pour un universitaire français. Dans l’Hexagone, la richesse reste en effet largement taboue, voire décriée dans les milieux intellectuels. Une belle hypocrisie vu le rôle de premier plan joué en France par ces milliardaires nommés Bernard Arnaud, François Pinault, Xavier Niel, Vincent Bolloré ou Martin Bouygues…
L’auteur de cette «Histoire mondiale des riches» a choisi de regarder dans le hublot de leurs yachts, dans le rétroviseur de leur Rolls-Royce, de leur Bentley ou de leur Ferrari. Où dans les laboratoires des firmes qui ont transformé en gourous planétaires les Elon Musk, Bill Gates ou Jeff Bezos.
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Résultat? Un catalogue nourri d’anecdotes et de lieux, dont certains en Suisse comme Saint- Moritz, qui fut longtemps la Mecque alpine des plus grandes fortunes mondiales. On peut regretter, pour cet ouvrage de 464 pages, l’absence de mise en perspective, voire de comparaison d’une époque à l’autre.
L’historien n’est pas un émule des fameux sociologues de gauche Monique et Michel Pinçon Charlot, qui avaient publié «Notre vie chez les riches» (Ed. La Découverte). Il préfère nous expliquer comment ces ogres financiers (on pense à Rockefeller, à Vanderbilt et aujourd’hui à Musk) ont, à leur manière, façonné l’histoire.
La richesse, puissant moteur de transformation
C’est là, au fond, que réside l’originalité de cette enquête. Fabrice d’Almeida reconnaît, chiffres et exemples à l’appui, que l’accumulation de richesses est un moteur puissant de transformation. Un moteur que les plus riches ont, au début du XXe siècle, tout fait pour préserver de l’impôt sur le revenu. «C’est abominable. C’est scandaleux. C’est du vol, de la piraterie», peste, en 1916, l’économiste français Paul Leroy-Beaulieu pour lequel l’impôt est d’abord un frein à l’investissement.
Avouez que ce genre de remarques peut faire pleurer de honte, surtout en pleine guerre en Ukraine. Mais la réalité est tenace. Les yachts des oligarques (dont un certain nombre sont placés sous séquestre en raison du conflit), les hôtels particuliers parisiens, les appartements de folie à New York, l’explosion des prix des œuvres d’art… Tous ces excès profitent à l’économie. Le riche est une denrée indispensable à nos sociétés modernes et mondialisées. Surtout s’il est, en plus, un philanthrope.
En Suisse, les riches sont chez eux
A Genève ou à Zurich, où les banques suisses offrent depuis des décennies des services taillés sur mesure à cette clientèle, «L’histoire mondiale des riches» peut presque, par moments, se lire comme un guide. Il est vrai que dans ces deux villes, et dans une bonne partie de la Suisse, les riches sont chez eux. Ils y vivent parfois. Ils s’y font même oublier. Facile de fermer ainsi les yeux sur leurs travers, sur leurs déplacements en jets désastreux pour le climat, sur leurs fortunes qui, en s’accroissant, creusent les inégalités et alimentent les frustrations sociales? Sans doute.
Fabrice d’Almeida n’entre pas dans ce débat-là. Il veut juste nous montrer que la richesse est indissociable de nos sociétés, et qu’elle peut aussi être compatible avec la liberté. Agaçant? Enervant? Horripilant? Tant mieux. Les riches ont toujours grandement contribué à faire (et à défaire) le monde tel qu’il est. Mieux les connaître est donc une absolue nécessité.
A lire: Histoire mondiale des riches (Ed. Plon) de Fabrice d’Almeida.