Il publie leurs conversations
Darius Rochebin raconte comment Gorbatchev fut la victime de l'Occident

Le journaliste vedette suisse est aujourd'hui aux commandes des soirées du week-end sur la chaine française LCI. Dans son livre «Dernières conversations avec Gorbatchev», les Occidentaux ne sortent pas grandis
Publié: 13.11.2022 à 16:59 heures
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Dernière mise à jour: 14.11.2022 à 17:34 heures
Décédé le 30 août dernier à Moscou à 91 ans, l'ex dirigeant Soviétique Mikhaïl Gorbatchev échoua à réformer l'URSS et il ne put éviter sa désintégration. Dans son livre, Darius Rochebin raconte pourquoi.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

«Gorbatchev fut l’anti-Staline». Tout est dit. Cette phrase est signée Darius Rochebin. Elle ponctue, en quatrième de couverture, son livre «Dernières conversations avec Gorbatchev» (Ed. Robert Laffont). Elle donne surtout le ton de ce récit ponctué de révélations sur celui qui échoua à réformer l’ex Union soviétique dont il prit les commandes le 11 mars 1985, accédant au poste de secrétaire général du Parti communiste. Quatre ans plus tard, en novembre 1989, le mur de Berlin tombait et, avec lui, le rideau de fer (une expression de Winston Churchill) qui séparait l’est et l’ouest de l’Europe de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Gorbatchev a, ce jour-là, tout perdu. Mais il ne le sait pas encore. Car il croit que les Occidentaux vont lui tendre la main pour faire tenir ensemble son immense fédération.

Pas une enquête, pas une biographie

Darius Rochebin n’a pas enquêté sur Gorbatchev, décédé le 30 août puis inhumé devant quelques milliers de personnes sans que Vladimir Poutine ne daigne se déplacer (il se rendit juste auprès de son cercueil). Son livre n’est pas une biographie, et encore moins un essai pour faire le bilan de ses années passées à la tête de l’ex URSS, jusqu’au coup d’État du 19 août 1991 qui mit fin à son pouvoir, lorsqu’il fut arrêté par une poignée de généraux, avant de devoir passer le relais du pouvoir au Kremlin à Boris Eltsine. Cet ouvrage est une confession à deux.

D’un côté, un dirigeant habile, mais idéaliste, tombé dans le précipice de la «realpolitik» mondiale et dans les mâchoires des puissances capitalistes, à commencer par les États-Unis. De l’autre, un journaliste qui estime indispensable de réhabiliter celui qu’il interviewa plusieurs fois, à l’heure où la Russie rime avec Vladimir Poutine.

Gorbatchev n’était pas un démocrate. Il était un apparatchik communiste de l’ex-URSS. Ce qu’il raconte plus tard, pour se justifier, est sans doute lesté de quelques arrangements avec la vérité, car l’ex-dirigeant parlait pour la postérité. Mais la sincérité transpire au fil des pages. «Gorby» a échoué parce qu’il fut trahi. Mais il a surtout échoué parce qu’il n’a pas vu venir cette trahison programmée à laquelle les vaincus font presque toujours face.

Rochebin et Gorbatchev, une conversation profondément humaine

L’ex-journaliste vedette de Suisse romande, aujourd’hui aux commandes des soirées du week-end sur la chaîne française LCI, a subi lui aussi des attaques virulentes qui l’ont laissé un moment K.O, après la publication d’une enquête dans Le Temps, alors propriété du groupe Ringier (éditeur de Blick).

A l’époque correspondant du Temps à Paris, je me souviens du choc provoqué par ces accusations. Les blessures personnelles de Darius l’ont-elles rapproché de Gorbatchev, dont le destin fut forgé par une suite d'humiliations ? Difficile, lorsque l’on connaît l’auteur du livre, de ne pas y voir un peu de ça. Et tant mieux! Ces «Dernières conversations» sont en effet profondément humaines. Elles racontent les tourments d’une vie passée à l’ombre du système soviétique dont Gorbatchev monte toutes les marches, puis la terrible pression de ses années passées à la tête de l’ex-URSS.

L’un des pays les plus puissants du monde est alors, dans les années 80, un décor communiste. Sa puissance reste celle de la destruction que lui confèrent son armée et son arsenal nucléaire. Mais tout est vérolé. Les phrases de Gorbatchev, ancien responsable agricole, sur le matériel qui, à peine sorti des usines, est dépecé par les Russes pour les pièces détachées en disent plus long que toutes les enquêtes. Le pays dont hérita Mikhaïl Gorbatchev était déjà mort. Ou presque.

Les passionnés des affaires du monde, surtout ceux qui suivent aujourd’hui le conflit en Ukraine et s’interrogent sur Vladimir Poutine, doivent absolument lire ce livre. Car il dit trois vérités trop souvent oubliées.

La première est intime. Même le dirigeant le plus puissant de la planète demeure un homme. Chez Gorbatchev, la passion de sa vie était sa femme, Raïssa, décédée en septembre 1999, dix ans après la chute du mur et l’écroulement de l’ex-URSS dont elle ne se remit jamais vraiment. Les phrases qu’il prononce sur elles inspirent un infini respect.

La trahison d’Helmut Kohl

La seconde vérité concerne l’Europe. Helmut Kohl, le Chancelier allemand, père de la réunification, trompa tout le monde dans le seul but de retrouver son pays. Gorbatchev le dit. L’histoire a tranché: Kohl avait raison. Mais ce dernier fit alors cavalier seul, obsédé par l’intérêt unique des Allemands. Une affirmation à méditer alors que l’Union européenne est de nouveau mise à mal par un certain égoïsme énergétique et industriel «Made in Germany». A l’inverse, François Mitterrand et Jacques Delors sont salués par Gorbatchev comme de grands hommes d’État. Là aussi, inutile de refaire l’histoire. Mais il faut, à postériori, écouter cette version des faits pour mieux comprendre l’Europe de cette époque.

La troisième vérité de Gorbatchev est la plus cruelle. Pour lui et pour l’Occident. Elle concerne les États-Unis et l’OTAN, l’Alliance Atlantique. Il suffit de le citer: «L’OTAN veut toujours prouver quelque chose. Ces gens veulent «sauver le monde» en permanence. Ils entendent faire en sorte que, partout sur la terre, leur contrôle s’exerce, prétendument pour instaurer la paix. C’est leur grande justification, au nom de la morale. En fait soyons clairs: ils veulent tout simplement que leur influence dans le monde soit absolue. Ce n’est rien moins que de l’impérialisme».

Trente après, le conflit en Ukraine..

A ce moment, le lecteur s’arrête et pense à ce qui se passe en Ukraine, trente ans après l’éclatement et la disparition de l’ex-URSS. Les livres sont faits pour débattre et tenter de reconstituer l’histoire. Ce que disait Mikhaïl Gorbatchev à Darius Rochebin fait partie de notre héritage occidental et de notre passif avec la Russie.

Cela n’excuse en rien les visées de Vladimir Poutine, caricature d’ex-officier du KGB très bien décrit, dans toute son horreur, dans «Le livre noir de Vladimir Poutine» (Ed. Perrin-Robert Laffont) tout juste publié sous la direction de Galia Ackerman et Stéphane Courtois. Les deux livres doivent d’ailleurs se lire côte à côte. L’un après l’autre. Le cauchemar de Gorbatchev est que son idéalisme a en partie engendré le retour du stalinisme dans la tête des dirigeants russes actuels.

L’art de gouverner est implacable: même dans nos démocraties, seuls survivent ceux qui parviennent à dompter leurs adversaires. Voire à les éliminer.

A lire:
- «Dernières conversations avec Gorbatchev» de Darius Rochebin (Ed. Robert Laffont)
- «Le livre noir de Vladimir Poutine» (Ed. Perrin-Robert Laffont) de Galia Ackerman et Stéphane Courtois

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