Mémoires d'un franco-persan
Voyage à travers l'histoire de la France et de l'Iran

L'universitaire français Bertrand Badie vient de publier «Comment peut-on naître franco-persan?». Né en 1950, il y raconte son itinéraire de fils d'un ex-médecin iranien installé en France, et marié à une Française. Un éclairage passionnant sur l'Iran d'hier
Publié: 16.10.2022 à 12:20 heures
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Dernière mise à jour: 16.10.2022 à 20:16 heures
A travers le monde, les manifestations de soutien se multiplient pour défendre la révolte des femmes iraniennes après la mort en garde à vue de l'étudiante Mahsa Amini, 22 ans, le 13 septembre 2022.
Photo: DUKAS
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Richard WerlyJournaliste Blick

Voici un livre sur l’Iran qui ne parle pas (ou presque) des Ayatollahs et de la répression qui s’abat depuis des semaines sur les femmes iraniennes en révolte contre tous ceux qui veulent les faire taire, se soumettre et se voiler le visage. Bertrand Badie est un universitaire français, qui vient juste, comme il le dit, de faire son «coming out». Ce spécialiste de relations internationales, invité ce samedi des 10e rencontres Orient Occident de Sierre (VS), est né en 1950 de l’union d’un médecin iranien installé en France durant l'entre-deux guerre et d’une Française, originaire de Soissons, au nord de Paris. Il est donc né franco-persan et a vécu entre deux cultures. C’est ce qu’il raconte dans son ouvrage.

L’histoire de l’Iran pour comprendre son actualité

Le plus intéressant, au regard de l’actualité de l’Iran, est toutefois le portrait qu’il dresse de ce pays aujourd’hui trop rapidement jeté par l’occident (menace nucléaire oblige) dans le camp de «l’axe du mal». Voilà un autre Iran. Un pays de grande tradition artistique, littéraire, poétique et politique. Un pays où s’entrecroisent valeurs humanistes et religion musulmane. Un pays dont l’élite traditionnelle s’est retrouvée broyée entre l’orient et l’occident. Le père de Bertrand Badie, arrivé en France dans les années 20, puis résistant durant la seconde guerre mondiale, n’a jamais pu y exercer son métier de médecin, faute de diplômes adéquats. Il fut, un temps, conseiller de l’Ambassade d’Iran à Paris. Le livre ouvre les archives familiales et géopolitiques. Il fut un temps où l’Iran était un des pays les plus prometteurs de ce «sud global», comme l’on dit aujourd’hui pour désigner les pays émergents.

Lire l’essai autobiographique et très politique de Bertrand Badie permet de mieux comprendre les racines de la révolte des femmes iraniennes d’aujourd’hui. Celles-ci puisent leur force dans les valeurs d’antan, dans cet Iran sur lequel les Ayatollahs ont, depuis 1979, refermé le couvercle. L’exercice est salutaire. Voici un livre qui dit combien deux pays si éloignés, comme la France et l’Iran, ont pu à une époque se retrouver dans des valeurs communes d’émancipation et de liberté. L’histoire défile sous la plume de l’auteur. Non, l’Iran n’est pas qu’une dictature.

A l’épreuve de la République

L’autre partie passionnante du livre concerne la France. Une République à bien des égards plus conservatrice que l’Iran des années 50-60, épris de modernité. Bertrand Badie est un produit de l’école républicaine. Il a longtemps enseigné à Sciences-po.

Mais il regarde la France avec une amoureuse distance. La discrimination, le rejet de l’autre y ont toujours été enfouis, comme dans tous les pays européens sûrs de leur domination sur le reste du monde. «Vivre deux cultures» est le livre d’une improbable rencontre: celle du monde persan avec la rigidité laïque, républicaine et méritocratique. Hier, les deux se complétaient. Aujourd’hui, ils s’opposent, largement en raison des fractures religieuses et géopolitiques.

Ce livre est le récit d’une rencontre. Il ne faut pas la rater.

A lire: «Vivre deux cultures», par Bertrand Badie (Ed. Odile Jacob).

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