Avouez que ce mot-là vous hante. L’échec. Le ratage complet. Le «superfail» comme l’on dit aujourd’hui, en reprenant l’expression anglaise. Bref: l’erreur qui va trouer votre CV, votre parcours professionnel, votre vie sentimentale ou votre vie tout court. Comment tourner la page? Comment faire de cette faillite personnelle ou collective un élément de réussite ? Tel est le thème du livre amusant et intriguant d’un journaliste que l’on n’attendait pas sur ce terrain du prix à payer pour transformer ses bévues en réussite: Guillaume Erner, l’un des piliers des matinales de France Culture, la très «intello» radio publique française.
Nos échecs, clés de l’histoire du monde
La théorie de l’auteur est sans appel: c’est en étudiant nos échecs, en particulier ceux qui impliquent les États, les collectivités, les entreprises, les administrations, que l’on comprend mieux l’histoire du monde. Il y a du miroir dans le livre de Guillaume Erner.
Mais un miroir dont on regarderait l’autre côté: celui qui vous renvoie l’image que vous désirez cacher. «Se pencher sur les superfail est une opération de salubrité publique argumente-t-il. Pour tenter d’éviter des répliques, bien sûr. Mais aussi et surtout pour comprendre comment fonctionnent les hommes en société».
La leçon s’applique à nous tous, et en particulier à ceux qui dirigent un groupe: examinez vos ratages, et vous découvrirez vos atouts. «C’est dans les moments où tout s’effondre que les êtres se révèlent dans leur vérité et les organisations dans leur nature la plus crue» assume Guillaume Erner. Juste remarque: le succès vous transforme en vitrine et vous permet de mieux dissimuler. Un ratage, lui, vous dénude au sens propre comme au sens figuré.
Attention à ne pas (mal) imiter le passé
Jusque-là, l’ouvrage pourrait sembler être un alignement de poncifs psychologiques. Erreur. Il faut avancer au fil des pages pour comprendre que le propos de l’auteur n’est pas de décrire le mécanisme des ratages, mais d’examiner ceux-ci à l’aune de l’histoire, de la politique, de l’économie.
Exemple historique de ratage dû à une mauvaise imitation du passé: celui de l’Empereur Napoléon III (qui, on l’oublie souvent, passa la plus grande partie de sa jeunesse en Thurgovie, au château d’Arenenberg), ne parvint jamais à ressembler à son grand-oncle Napoléon Ier. L’explication? Imiter n’est pas jouer.
«En réalité écrit Guillaume Erner, les situations ne sont jamais identiques. La bonne idée des uns se transforme souvent en tragédie ou en farce pour les autres». On pourrait rétorquer à l’auteur qu’il se trompe lourdement à propos de celui que Victor Hugo surnommait «Napoléon le Petit».
Napoléon III a modernisé la France, jusqu’à son échec militaire de 1870 contre la Prusse. Il imita assez bien, en cela, son prédécesseur impérial. Mais il crut à tort que comparaison vaut raison. L’autoroute du «grand ratage» s’est alors ouverte devant lui sur le champ de bataille, face aux troupes de Bismarck.
Ne pas diaboliser l’erreur
La thèse centrale de l’ouvrage est de ne pas diaboliser l’erreur. Dans une France où une faillite de jeunesse demeure un boulet pour les hommes d’affaires, et où l’État passe son temps à sanctionner les échecs individuels ou collectifs, ce livre est une simple bouffée d’oxygène humain. Il défend l’idée simple que l’erreur n’est pas toujours fatale. Mieux: il s’interroge sur le concept même d’erreur.
Un exemple: en 1978, un rapport fait grand bruit en France: celui rédigé par Simon Nora et Alain Minc sur l’informatisation de la société. «Les deux auteurs, qui ont mené un grand nombre d’interviews, ont bien saisi tous les enjeux de la question» estime à juste titre Guillaume Erner.
Sauf que leur lucidité est dénoncée comme une erreur, voire comme un ratage, par tous ceux qui détiennent les leviers de pouvoir. «Ce rapport signe l’échec de l’idéalisme français sur l’écueil du corporatisme des grands corps de l’État et de l’obsolescence des stratégies industrielles. Il révèle la propension française au superfail». En clair? Les vérités de demain sont parfois les erreurs présumées de diagnostic d’aujourd’hui.
Toutes les erreurs ne se ressemblent pas
Tout le monde connaît la formule selon laquelle «l’erreur est humaine». Guillaume Erner la remplace, dans son livre, par une autre affirmation: «Toutes les erreurs ne se ressemblent pas». Les plus graves et les plus dangereuses, jusqu’à devenir parfois criminelles, sont les erreurs basées sur une lecture idéologique, raciale, ignorante des réalités.
Le «ratage» peut alors conduire un groupe à commettre le pire. L’erreur devient un danger public. Il y a, en somme, des bons et des mauvais ratages. Rater est une chance lorsque votre échec est la conséquence d’une mauvaise analyse, comme cela est le cas aux échecs. Vous avez mal lu les possibles répliques de votre adversaire et vous succombez. Echec et mat! Sauf que cet échec-là vous apprend quelque chose. A vous d’en tirer ensuite profit.
Oui, «rater est un art»
«Rater est un art» affirme Guillaume Erner en titre de son livre. Pas faux. Mais il manque un sous-titre. «A condition d’accepter de reconnaître ses erreurs». Car le pire n’est pas dans le ratage. Il est dans l’aveuglement. Surmonter un échec n’est possible qu’en l’acceptant. Ce qui, pour beaucoup de dirigeants, est juste impossible lorsqu’ils se retrouvent seuls au sommet de la pyramide sociale, politique ou économique.
A lire: «Rater est un art. Bêtise collective et superfail» de Guillaume Erner (Éditions Grasset)