Une guerre civile en plein Paris. Des ex-résistants qui se transforment en bourreaux. Des militants communistes aussi sadiques que les nazis. Nous ne sommes pas en 2023, mais en 1944. Il y a bientôt 80 ans. Dans la capitale française, la liesse de la libération côtoie l’horreur de l’épuration.
Pourquoi vous proposer ce roman en ce début d'année nouvelle, alors que se profilent réveillon et cotillons ? Parce que tout ce polar raconte s’est réellement passé et qu’il permet, à sa manière, de comprendre pourquoi la violence revient sans cesse sur le devant de la scène à Paris et dans le reste du pays. Ce roman est celui du destin d’un homme. Un salaud de flic, au sens strict. Un sale type qui tue pour ne pas être tué, mais aussi pour masquer ses mensonges, ses trahisons, ses abandons. Léon Sadorski a existé. Pas sous ce nom-là, mais sous beaucoup d’autres. L’écrivain Romain Slocombe est son biographe. «J’étais le collabo Sadorski» est le dernier épisode de sa saga impitoyable et sans illusion sur les dessous funestes de la République.
Paris vient d’être libéré
On est loin, ici, de l’esprit de Noël. Nous sommes en septembre-octobre 1944. Paris vient d’être libéré. L’armée américaine l’occupe et les GI’s ont remplacé les combattants nazis en uniforme vert-de-gris. Pour le reste, accrochez-vous. Cette capitale est veule. Les femmes couchent pour se faire plaisir, pour se protéger, ou pour se venger. Les bourgeois sont passés sans scrupules d’un occupant à l’autre. Les juifs se terrent encore, sauf lorsqu’ils sont militants communistes et qu’ils portent des armes. Mais là, ils ne sauvent pas l’honneur. Ils tuent. Ils éliminent. Ils torturent. Le portrait de Joseph Staline a remplacé, dans de nombreux bureaux, celui d’Adolf Hitler. Les dirigeants clandestins du parti communiste, survivants de la guerre, ne pensent qu’à rafler le pouvoir. Tout le monde s’épie. La mort est, littéralement, au coin de la rue où les boutiquiers rêvent de reprendre une vie normale.
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Léon Sadorski est une crapule. Dans ses précédents romans, Romain Slocombe lui a fait traverser la guerre, du côté de la collaboration. Ce flic a détroussé des juifs avant de les faire déporter. Il a tué le fiancé d’une jeune israélite qu’il convoitait et à laquelle il a fait un enfant. Attention, paradoxe: ce Sadorski est un bon flic. On se l’arrache, car il sait infiltrer, faire parler, débusquer, filocher. Or, le voici, en cette fin de l’année 1944, devenu un gibier.
Survivants de la résistance, les «cocos» veulent sa peau. Mais leurs adversaires gaullistes, eux, espèrent le recruter. Ces horreurs ont bien eu lieu en France, sous le regard des militaires américains plus pressés de séduire les Parisiennes que de faire respecter les libertés et le droit. Tout s’achète. Chacun peut être vendu. Léon Sadorski dit les soutes de la République renaissante, sur les décombres du régime fasciste du Maréchal Pétain. Et ces soutes sont ensanglantées et puantes.
Chaque affaire est sourcée, chaque meurtre s’est déroulé
Ne croyez pas que je noircis le tableau. J’ai lu tous les épisodes de la vie de Léon Sadorski. Une trame originale, impitoyable qui dit la violence de la société française en 1944, mais d'aujourd’hui aussi. J’ai apprécié, surtout, la méthode du romancier. Sa toile de fond est factuelle, sortie des archives. Chaque affaire est sourcée. Chaque meurtre s’est déroulé. Chaque trahison a eu lieu.
Sadorski est un faire-valoir. C’est la France qui est racontée de l’intérieur, comme si le lecteur se baladait dans ses entrailles. Ce polar historique prend le pouls de cette époque fatale. On rêve d’un écrivain de cette trempe qui raconterait les aventures de Sadorski en Suisse, durant la guerre. Mais le romancier arrive au bout de son périple. Son flic est borgne, après avoir été tabassé. Il a survécu. La préfecture de police l’a saqué. Il va être jugé. Qu’adviendra-t-il en 1945, année sans doute du prochain épisode?
Au final? Une terrible leçon d’humanité
«J’étais le collabo Sadorski» (Ed. Robert Laffont) est paradoxalement une leçon d’humanité. Pas une leçon d’optimisme humain, au contraire. Mais une plongée dans ce qui fait le mal. La France a plusieurs fois connu, dans son histoire, cette mécanique infernale de l’horreur. On pense à la révolution de 1789, suivie de la terreur. Paris a abrité les pires tueries. Les Gardes suisses, décimés dans la nuit du 10 août 1792 aux Tuileries, en ont apporté la preuve. La force de Romain Slocombe est qu’il ne cherche ni à sauver son héros, ni à l’accabler. Il le raconte sur un ton à la fois neutre et toujours précis, enlevé, fourni d’anecdotes.
N’ayons pas peur des mots: Sadorski est une ordure. Mais l’histoire a montré que la France a surmonté de tels cauchemars. Rien que cela devrait, en ce début 2023, nous rendre profondément optimistes.
A lire: «J’étais le collabo Sadorski» de Romain Slocombe (Ed Robert Laffont)