Roselyne Bachelot n'est plus. Pas dans la vraie vie, rassurez-vous! Mais dans l’autre vie: celle qui fut la sienne depuis sa première élection comme députée du Maine-et-Loire en 1982, à la suite de son père Jean Narquin, député gaulliste.
Son avis de décès, comme femme politique, est long de 268 pages. Il s’intitule «682 jours» (Ed. Plon), soit la durée de son passage au ministère français de la Culture, du 6 juillet 2020 au 20 mai 2022. Tout ce livre tourne autour de ça: comment disparaître du paysage du pouvoir et renoncer, sauf à la marge, à changer les choses? Comment – surtout – accepter que la politique d’aujourd’hui, ses rapports de force, ses exigences, ne répondent plus aux critères de jadis lorsque tout était clair: la droite à droite et la gauche à gauche. Du moins sur le papier.
Une chronique de trop?
Une obligation d’abord: cette chronique ne devrait pas être. Commenter le livre d’une ancienne ministre populaire que je recevrai à Genève lundi 13 février pour en parler aurait dû me dissuader de donner mon avis sur l’ouvrage, déjà vendu à près de 40'000 exemplaires depuis sa sortie.
Plus grave: ceux qui me lisent peuvent déjà préparer leurs flèches et me reprocher un conflit d’intérêts. C’est à Roselyne Bachelot, sans que personne m'ait averti au préalable, que je dois d’avoir reçu, il y a tout juste un an, l’insigne de chevalier des Arts et lettres du ministère Français de la culture. Une insigne remise, avec ce qu’il faut d’amitié et d’éclats de rire, à l’Ambassade de Suisse à Paris. Fermez le ban. Vous avez le droit de ne pas lire la suite. Ou de préparer les questions qui font mal pour sa présentation genevoise, lundi prochain.
Je prends néanmoins le risque. Car ce livre, qui se lit vite et a été dopé aux citations faites pour le buzz, énonce trois intéressantes leçons sur la France enlisée, en ce début d’année, dans la bataille autour de la réforme des retraites.
La première? Les circonstances, en politique, sont bien plus importantes que les programmes et les promesses. Or pour Roselyne Bachelot, ces circonstances ont été sanitaires. Ministre de la Culture durant la pandémie, après la première vague de Covid-19 et le confinement strict du printemps 2020, l’ancienne ministre de la Santé (2007-2010) s’est retrouvée à batailler contre l’imprévisible… que les autorités auraient dû prévoir.
Dur. Mais logique. La voici recrutée pour tenir bon par Jean Castex, ce Premier ministre beaucoup moins connu qu’elle du grand public, mais qu’elle avait côtoyé dans ses précédentes fonctions. Un fonctionnaire madré, habile, intelligent: «Il savait mieux que personne qu’il valait mieux confier les clés de la culture à une vielle bête blanchie sous le harnais des emmerdements. En l’occurrence Bachelot.» Les rôles sont répartis. L’amoureuse de la côte basque sera le matador face aux artistes en mal de revenus. Son ministère de la Culture, une sorte de corrida.
La politique ne s’occupe plus de l’essentiel
Deuxième leçon de «682 jours»: la politique, en France, ne s’occupe plus de l’essentiel. Elle gère l’héritage empoisonné des décennies où le pays avait encore les moyens financiers de ses largesses. En 2023, un ministre n'a pas d'autre choix que d'être une abeille en mal de pollen: il butine ce qu'il peut.
Il se bat pour son budget (bravo Roselyne, qui sauva celui de la culture). Il regarde, affligé, les coteries d’artistes et de bureaucrates se partager le gâteau arraché à Bercy, le tout-puissant ministère des Finances. Mais dans les faits, tout lui retombe sur la figure. Vous avez dit Jack Lang? Vous pensez aux années 80 et à la gauche pressée de faire de la culture son piédestal? Et bien Roselyne Bachelot le dit.
Depuis ce grand moment de générosité publique, tout a dérapé: «Des projets mal ficelés ont été mis sur pied […] Des inégalités insupportables se sont installées entre les régions (80% de l’argent public du secteur à Paris et l’Ile de France) […] Le ministère de la Culture est devenu le guichet […] Des féodalités se sont créées. Valois est condamné à la gestion des affaires courantes.» On comprend mieux, à lire cela, comment la volonté de rupture et de transformation d’Emmanuel Macron s’est retrouvée noyée sous une avalanche de résistances.
Une «Tatie flingueuse» qui a perdu la foi
Le meilleur est pour la fin. C’est la troisième leçon. Roselyne Bachelot a mis «682 jours» pour réaliser que la politique n’était plus sa «came», sauf pour la commenter façon buzz sur les plateaux TV où elle excelle comme «Tatie flingueuse» audiovisuelle. Sa force est, malgré cela, d’avoir obtenu un bon bilan, détaillé dans son livre.
Mais l’on sent, au fil des pages, poindre le ras-le-bol, attisé par des mascarades comme celle de la fameuse cérémonie des Césars 2021, lorsqu’une actrice de télévision se macula de rouge, quasi nue, pour signifier la soi-disant torture infligée aux artistes pourtant soutenus à bout de bras à coups de subventions. «Tout cela m’a rattrapée et je pense que oui, vraiment, cet exercice n’est plus pour moi. D’autres – qui ne savent pas encore de quoi il retourne exactement – vont s’y coller» écrit-elle, avant de dénoncer, entre autres, les idées «grotesques» d'une Marine Le Pen.
«L’ascèse de l’adieu»
C’est là-dessus que j’ai envie d’entendre Roselyne Bachelot à Genève, le 13 février: sur cette perte de foi dans la politique que son livre affleure et nous transmet, sans complètement l’assumer. Son père député, écrit-elle, lui avait conseillé de s’en tenir, à chaque fin de mandat ou de fonction, à une «ascèse de l’adieu». Sa mère lui répétait qu’il faut «quitter les choses avant qu’elles ne vous quittent». C’est fait. Roselyne Bachelot, bien sûr, ne sait pas résister aux bonnes formules, comme ce bandeau de couverture du livre «le bal des hypocrites». Elle veut flinguer. Elle aime moquer.
Mais le fond de l’ouvrage est ailleurs: ce nouveau tour de manège politique, à la fin du premier quinquennat Macron, ne lui a pas redonné envie. Elle l’a tuée. Preuve, peut-être, que ce combat-là était celui de trop.
A lire: «682 jours» de Roselyne Bachelot (Ed. Plon)
Roselyne Bachelot sera à Genève lundi 13 février pour un diner-conférence que j’animerai au restaurant du parc des Eaux Vives. Quai Gustave Ador. Accueil à 19h30. Contact pour s’inscrire: colette.cellerin@hotmail.com