Une rescapée des camps de la mort. Un philosophe traumatisé par notre aveuglement écologique. Un militant de la solidarité qui se bat pour accueillir des migrants abandonnés.
Je vous en supplie: ne vous arrêtez pas à cette énumération qui sonne comme une tragédie. Les trois auteurs dont j’ai choisi de vous parler sont, chacun, porteurs d’un formidable espoir. Ils ne se connaissent pas. Ils se battent chacun de leur côté. Deux sont Français, l’un est Franco-Suisse, basé à Lausanne. Je vais vous parler de Ginette Kolinka, Dominique Bourg et Cédric Herrou. Ne délaissez pas votre écran. Prenez quelques minutes pour lire ce qu’ils ont à vous dire.
«Vous avez quinze ans? Vous êtes tous morts»
Ginette Kolinka a 97 ans. A tout moment, elle le sait, la mort peut l’emporter. Sur la porte de l’appartement parisien où elle a toujours vécu, sauf durant ses trois années de déportation à Birkenau pendant la Seconde Guerre mondiale, celle qui passa sa vie à vendre des articles de mercerie sur les marchés de la capitale française avertit ses visiteurs d’un petit mot écrit à la main et scotché, pour leur dire de patienter.
Et devant les élèves des lycées qu’elle visite pour parler de son histoire et de la déportation des juifs de France, sa tactique est toujours la même. Ginette regarde cette jeunesse. Elle sourit. Puis, elle demande à tous ceux qui ont plus de quinze ans de se lever. Alors, elle dit l’indicible. «Vous êtes morts. Tous. Dans les camps, avoir 15 ans signait votre arrêt de mort», tonne celle qui perdit son père dans la folie nazie et revint en cadavre ambulant de l’horreur d’Auschwitz.
Ginette est une leçon de vie. Elle sait la folie de la jeunesse que lui inculqua jadis son fils, Richard Kolinka, l’ex-batteur du groupe français «Téléphone». Je m’arrête là. Lisez «Une vie heureuse» (Ed. Grasset). C’est un monument de vie simple transformée en combat de tous les jours pour ne pas succomber au désespoir.
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Il voit notre planète sombrer
Dominique Bourg est philosophe. Il a 69 ans. Il a enseigné les sciences de l’environnement à l’Université de Lausanne. Il est aussi homme politique. Il a conduit, en France, une liste écologiste aux élections européennes de 2019. Mais ce n’est pas de lui que je veux vous parler. J’ai lu son petit livre «Chaque geste compte» (Ed. Gallimard), cosigné avec Johann Chapoutot. J’ai pesté devant son exigence de sobriété, indispensable selon lui pour sauver notre planète. Je l’ai trouvé rigide, dogmatique, arrimé à des certitudes vertes qui deviennent redoutables lorsqu’elles accouchent de diktats normatifs.
Puis, j’ai tourné les pages. Et j’ai compris. Dominique Bourg est effrayé. Il voit notre planète sombrer. Il sait combien nos modes de vie sont dévastateurs. Il veut sauver ce qui peut encore l’être. Il croit en une possible justice climatique. «Au sein des États, face à des gouvernants trop liés à des intérêts privés et trop médiocres, moralement et intellectuellement, pour agir, des institutions judiciaires se font les garantes de l’intérêt général», écrit-il.
C’est énervant. Cette justice-là veut nous imposer par la force la sobriété. Mais ce combat-là est honorable. Juste. «Ce contrat social stipule que je renonce à une liberté absolue pour vivre dans un espace politique qui assure ma survie et ma vie», poursuit-il. J’avoue que je n’aime pas cette approche réglementaire. Est-ce une raison pour ne pas l’écouter? Non. Au contraire. Car elle est, qu’on le veuille ou non, porteuse d’espoir.
Refuser les portes closes
Cédric Herrou a 43 ans. Je l’ai rencontré une fois, dans un festival de journalisme organisé par le quotidien Le Monde. Ce militant de la Vallée alpine de la Roya, au-dessus de Nice, a refusé de laisser sa porte close lorsque des migrants perdus sont arrivés dans sa ferme. Il n’a pas respecté les lois. La justice l’a condamné. Il ne l’a emporté que devant la cour de cassation. Il faut lire «Une terre commune» (Ed. du Seuil). En une cinquantaine de pages, l’actuel responsable du foyer Emmaüs de La Roya pilonne notre indifférence, notre refus de voir qu’une main tendue peut faire toute la différence.
Son témoignage devrait être lu au parlement français, où un nouveau projet de loi sur l’immigration va bientôt être débattu. Pas pour contredire la loi ou jeter ce texte aux orties. Mais pour garder la lumière de l’espoir allumé. Lisez, page 32, le récit de ses retrouvailles dans la jungle sordide de Calais avec Abraham, un Afghan qu’il avait recueilli. «J’aurais préféré ne plus le revoir, garder mes souvenirs de lui, jeune et plein d’espoir. Là, il faisait peur. Je voyais un clochard sans âge, proche de la folie, détruit par l’oubli, le froid, la faim, la peur […]. J’ai observé ce jeune saccagé alors qu’un toit et un cahier d’école auraient pu suffire pour qu’il mène une vie d’homme heureux.»
Trois livres, trois flammes
Voilà le portrait de notre monde tel qu’il est. Ces trois livres sont trois flammes, trois lueurs qui ne doivent pas s’éteindre. Aucun de ces auteurs ne prétend avoir raison. Ils disent ce qu’ils croient juste. Ils envoient aux politiques trois questions en forme de défi. Et cette évidence: pour survivre, l’espoir sera toujours indispensable.
A lire:
- «Chaque geste compte», Dominique Bourg et Johann Chapoutot (Ed. Gallimard)
- «Une terre commune», Cédric Herrou (Ed. du Seuil)
- «Une vie heureuse», Ginette Kolinka (avec Marion Ruggieri) (Ed. Grasset)
- On lira aussi, dans le même registre: «La mort en échec», Isabelle Choko et Pierre Marlière (Ed. Grasset).