Si la France de demain ressemble aux grands boulevards parisiens ce jeudi 23 mars, alors danger! Je vous le dis parce que j’en reviens. Les Grands boulevards sont le cœur commerçant de Paris. Les touristes s’y baladent en général entre la place de la République et l’Opéra.
Or, ce jeudi, c’est cet itinéraire que les manifestants opposés à la réforme des retraites ont emprunté pour crier leur colère. Et derrière eux, ils ont laissé un déluge de kiosques à journaux brulés, de vitrines brisées, d’abribus saccagés, de trottoirs encombrés de poubelles jetées par terre et enflammées.
Ce que risque la France
Voici ce que risque la France si la situation ne se calme pas dans les prochains jours. Des bouffées de violence massives. Une paralysie provoquée par le blocage des ports, des gares, des raffineries et peut-être des autoroutes. Nous n’en sommes pas là. Il est 18h30 et je n’ai vu que ce qui se passe à Paris, 24 heures environ après l’intervention télévisée du président Emmanuel Macron.
Le jeune chef de l’État de 45 ans l’a dit devant les caméras. Il continuera d’avancer «à marche forcée». Il ne retirera pas le projet de loi sur la retraite à 64 ans, adopté sans vote par le parlement jeudi 16 mars, grâce au recours à l’article 49.3 de la constitution. Macron n’a rien lâché aux syndicats, et à ses plus farouches opposants de la «France Insoumise», le parti de gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon. Il a au contraire encouragé sa Première ministre Elisabeth Borne à conclure des alliances avec les députés de droite prêts à rejoindre la majorité, et il a défendu l’idée d’accords «sans passer par la loi», ou sur des textes législatifs plus concis.
En bref, le locataire de l’Élysée se croit capable de tenir face à la rue et de surmonter le chaos. Il est arrivé , comme si de rien n'était, au sommet européen de Bruxelles qui se tient ces 23 et 24 mars. Soit. Mais ce jeudi à Paris, ce que j’ai vu me fait douter.
La paralysie n’est pas encore au rendez-vous. Mais il en faut peu pour qu’elle s’installe. La CGT tient les raffineries et, malgré les réquisitions, l’approvisionnement en carburant peut être gravement perturbé. Ce jeudi, le terminal 1 de l’aéroport Charles de Gaulle a été bloqué. De nombreux trains sont à l’arrêt. Plusieurs TGV Lyria ont été annulés et il est probable que des grèves surprises compliquent le trafic ferroviaire dans les jours prochains. Des émeutes provoquées par de jeunes casseurs ont éclaté à Lyon, à Nantes, à Rennes, à Marseille. Près de 400 lycées sont en grève. Plusieurs universités sont occupées.
Le pays n’est pas à l’arrêt. Le nombre de manifestants plafonne. Le besoin de revenus impose de retourner travailler. Mais la France est grippée. Et cela risque de s’aggraver car l’intersyndicale, toujours unie depuis ses débuts en janvier, a bien l'intention de ne pas céder. Une nouvelle journée d’action est prévue le 28 mars. Le lendemain de l'ouverture, à Clermont-Ferrand, du congrès de la CGT. Lequel doit désigner le successeur de son actuel patron, le moustachu Philippe Martinez.
Macron gagnant ou Macron perdant?
Alors, Macron gagnant ou Macron perdant? Tout dépend, bien sûr, de la ténacité des opposants et de l'état de fatigue du pays, face à ces marches répétées et sans résultat. Tout dépend, aussi, de la capacité des forces de police à contenir les émeutiers. Ceux-ci sont souvent des jeunes, qui défilent devant ou en marge des cortèges syndicaux. Mais comment les stopper sans risquer une bavure qui pourrait transformer le pays en brasier social? Jeudi, un policier a été blessé à Paris par un jet de pierre.
Les syndicats, dont les services d’ordre ont jusque-là fait le job, considèrent désormais que le pouvoir exécutif a la responsabilité de la flambée de violence. Ils savent que le texte législatif est maintenant sur le bureau du Conseil Constitutionnel qui devrait rendre sa décision le 21 avril au plus tard. Dans presque un mois. Une éternité si le pays est mis «à l’arrêt», comme le souhaitent le patron de la CFDT Laurent Berger et celui du parti communiste, Fabien Roussel.
Les syndicats n’ont pas de porte de sortie. Emmanuel Macron l’a refermée devant eux le 22 mars. Il leur a proposé de reprendre le dialogue social, en particulier autour des questions relatives au travail, mais sans rien retoucher à son projet de loi sur les retraites guetté, il est vrai, par les marchés financiers qui s’inquiètent de l’aggravation de la dette française. Les centaines de milliers de manifestants opposés au départ à 64 ans – au lieu de 62 ans – sont aussi le dos au mur. Ils ont perdu de l’argent avec ses journées de grève. Ils ont battu le pavé. Ils ne veulent pas repartir bredouilles.
Retrouvez Richard Werly sur France 24
Dix millions de téléspectateurs ont regardé, le 22 mars, Emmanuel Macron à la télévision. Mais il n’a pas convaincu. Il est 19 heures. A Paris, sur la place de la Concorde interdite aux protestataires, les cars de policiers s’entassent. Les sirènes rythment cette nouvelle soirée d’affrontement.
La France n’est pas (encore) bloquée. Mais combien de temps peut-elle tenir ainsi?