Jésus était un homme, un vrai. Rien que cette affirmation mérite de se plonger dans «Le bâtard de Nazareth» (Ed. Grasset), le dernier roman de l’écrivain suisse Metin Arditi. Mieux: c’est parce que cette affirmation a inspiré avant lui d’autres écrivains – je pense au «Jésus» du journaliste Jacques Duquesne (Ed. Flammarion) qui fit scandale lors de sa sortie en 2005 – que je vous recommande de suivre l’auteur sur le chemin de Nazareth, aux côtés de Joseph, de Marie et des apôtres.
Metin Arditi, juif lui-même, utilise le procédé romanesque pour explorer la face cachée de cet homme dont il nous relate le parcours pas à pas: depuis sa naissance jusqu’à sa rencontre avec Judas, en passant par ses moments de grâce que furent ses guérisons publiques…
L’insolence et la ténacité
J’avoue avoir hésité avant d’ouvrir le livre. L’amitié fidèle que l’on porte à un auteur – c’est le cas avec Metin, complice de tant de discussions genevoises et parisiennes – nous expose toujours au risque du compliment forcé, du conflit d’intérêts et du refus de dire publiquement ses désaccords, ou ses déceptions. Je me suis donc avancé sur le bord du roman. D’abord une page, puis l’autre… Et la suite m’a paru naturelle.
Metin Arditi nous livre, avec son «Bâtard de Nazareth», un roman volontairement modeste. Les phrases sont simples. Les descriptions des interactions de Jésus avec ses proches sont même, parfois, presque décrites d’une plume aride. Logique. Le Jésus dont on nous parle ici est simple. Un jeune homme doué de ce formidable tempérament qui mêle l’insolence à la ténacité et le courage à la volonté. Vous l’avez compris à la lecture du titre: Jésus, dans ce livre, n’a pas connu son père. C’est cette quête de l’ombre paternelle, dans ces confins de l’Empire Romain, qui constitue la trame de ce récit.
Jésus, un «bâtard»! A l’heure où la question des origines et de l’identité domine la vie politique dans nos démocraties, et alors que les migrants sont presque partout discriminés et rejetés, Metin Arditi prend à travers son personnage le parti des «sangs mêlés», de tous ceux dont les origines sont brouillées par les circonstances de la naissance. Il rejette surtout dans le camp des obsédés de la loi religieuse et de l’intransigeance les prêtres juifs qui lui renvoient sans cesse à la figure les vérités cachées de sa paternité.
Il y a, chez l’écrivain suisse éduqué dans les meilleures écoles privées proches du Lac Léman, né au sein d’une famille de la grande bourgeoise turque, une attention portée à tous ceux que le hasard a fait naître ou grandir autrement.
Jésus, porte-parole de tous les métis et de tous les «mamzers» (bâtard né d’une mère adultère selon la loi juive)? Non. Car le romancier évite l’écueil du politiquement correct. Son Jésus se rebelle d’abord pour lui-même. Parce qu’il ne supporte pas d’être mis de côté. Il soigne les autres, grâce à ses dons de guérisseur. Mais il n’est pas, spontanément, ce chef de bande conscient d’imprimer sa marque dans l’histoire.
Le roman d’une aventure humaine
Le Jésus de Metin Arditi défend sa mère, respecte infiniment ce père qui l’a adopté, et lutte dont la domination exercée par tous ceux qui, au lieu de se battre, ont hérité de leurs charges et de leurs titres. Ce Jésus-là est un homme qui fait l’amour, peut devenir violent, et ne cache ni ses colères, ni sa rancœur. Un homme qui se trompe aussi, puisqu’il ne parviendra jamais à croire que le meilleur de ses apôtres, Judas, choisira de le trahir. «Le Bâtard de Nazareth» est le roman d’une aventure humaine que rien ne prédestinait à devenir un mythe pour une partie de l’humanité. A moins que Dieu et l’Esprit Saint…